Les lémuriens dans le pays Mahafaly – Leur protection provoque des conflits ethniques
La protection des lémuriens a débuté depuis les années 80. Cependant, les 103 espèces de lémuriens répertoriées, qui sont à 100% endémiques du pays, sont aujourd’hui à 100% menacées d’extinction. Pour le cas du plateau Mahafaly à Betioky-Sud, aux environs du Parc national de Bezà-Mahafaly, la structure mise en place pour la conservation de la forêt, principal habitat des lémuriens, engendre des antagonismes ethniques, ainsi que des rivalités entre les organisations.
Une femme est retrouvée morte, décapitée, dans une forêt proche du village d’Andranotakatra, à Betioky-Sud au cours du premier trimestre 2014. Un meurtre dont l’auteur n’a jamais été identifié mais qui, sans l’intervention des éléments de la gendarmerie, a failli provoquer un bain de sang entre différentes ethnies et des groupements de villageois qui s’opposent à cause de la protection de la forêt et de la chasse aux lémuriens qui y habitent. Les proches de la victime, un groupe d’immigrés qui serait composé d’ethnies Vezo et Antanosy, accusent les membres de la police de la forêt qui sont de l’ethnie Mahafaly, d’être à l’origine de ce crime. Pour cause, la police de la forêt qui travaille avec le comité villageois « VOI Ezaka », interdit toute forme d’activité dans cette forêt d’Andranotakatra qu’elle protège. Pourtant, les immigrants s’entêtent à y rester et continuent le défrichement. Cette mort non élucidée a explosé la haine latente entre ces différentes ethnies.
L’affaire n’est pas restée là. Quelques semaines plus tard, Thomas Etsifoe, président du « VOI Ezaka », témoigne qu’il a failli, par deux fois consécutives, être tué par des braconniers lors des contrôles de protection forestière. Ensuite, une vingtaine de bovidés de Thomas ont été dérobés dans un village appelé Antanantsoa par des dahalo, et il suspecte les adversaires du VOI, autrement dit les immigrants, comme étant les instigateurs de ce vol. « A cause de l’insécurité et de la pauvreté, des Vezo et des Antanosy immigrent chez nous, ce sont eux qui détruisent la forêt, l’unique habitat naturel des lémuriens », déplore-t-il. Une information soutenue par Mahatefitse, président du Comité local de Protection (CLP) Mahazoarivo : « Les braconniers sont très agressifs et les affrontements se produisent souvent dans les forêts. C’est très dangereux car les individus d’ici sont toujours armés de fusils et de sagaies ».
Les Mahafaly et les Antanosy s’accusent
La protection des lémuriens devient la manifestation d’un conflit social et ethnique dans le District de Betioky-Sud. Les Mahafaly, qui considèrent ces animaux comme tabous, accusent l’ethnie voisine, les Antanosy, d’être les principaux braqueurs. « Ce sont ces Antanosy qui pénètrent sur notre territoire et tuent les lémuriens, nous les Mahafaly, nous ne touchons jamais à ces animaux tabous », déclare Rajoely, président du CLP du village Analafaly, situé dans la zone de protection du Parc national de Bezà-Mahafaly. Une affirmation validée par Hetsihalore, vice-président du COSAP de cette aire protégée.
De son côté, Esoa, une agricultrice originaire de l’ethnie Antanosy, incrimine les voleurs de bovidés d’être aussi les chasseurs de lémuriens, ainsi que d’être à l’origine des feux de brousse dans le but de provoquer un conflit ethnique entre le Mahafaly et l’Antanosy. « Normalement, les Antanosy n’ont quasiment aucun accès pour chasser dans des forêts de Mahafaly », précise-t-elle. Esoa accuse également les Mahafaly d’être les principaux destructeurs de forêts. Zigzag Randria, chef cantonnement du ministère de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts (MEEF), travaillant à Betioky-Sud, confirme que les Mahafaly ne touchent pas aux lémuriens mais détruisent la forêt, et c’est le contraire chez les Antanosy.
Sur 6200 habitants, une centaine bénéficie des intérêts
La protection de la forêt des lémuriens se heurte également à une mésentente, à un problème de gestion et à une mauvaise organisation entre les différentes structures mises en place. Seule une minorité bénéficie effectivement des intérêts engendrés par la protection de la forêt en tant qu’habitat des lémuriens. Sur 6 200 habitants autour du Parc de Bezà-Mahafaly, ils sont une centaine tout au plus. C’est le cas des membres des CLP, des 5 Fokontany avoisinant la réserve qui jouissent de la construction des Ecoles primaires publiques (EPP), écoles construites par Madagascar National Park (MNP) et l’Ecole supérieure des Sciences agronomiques (ESSA) de l’Université d’Antananarivo. Ces centaines de membres des associations villageoises bénéficient également d’un projet de production d’oignons et deviennent les principaux producteurs du District de Betioky-Sud et de la Région Atsimo-Andrefana en général.
Il existe néanmoins encore des déforesteurs, mais leur nombre a chuté. Ce sont des villageois qui ne veulent pas adhérer à des associations. Et pour cause, les VOI et les CLP sont perçus par la majorité de la population locale comme une forme de marginalisation du fait que seuls les originaires de la localité peuvent y entrer et bénéficier de l’intégralité de l’exploitation de la forêt. Le VOI est considéré comme une discipline très stricte, ce qui décourage la population à y adhérer. Cette situation pousse les villageois à travailler dans l’illicite. Ces derniers défrichent la forêt pour avoir de terres cultivables, et coupent les arbres pour en faire des planches à revendre. « Sans financement, il est impossible de forcer la population à adhérer au VOI », reconnait Chantale Mena, point focal de l’association Famary, œuvrant dans la promotion de la protection de l’environnement à Betioky-Sud.
Tout le travail confié à la population locale
Chez les décideurs, Volatiana Rahanitrinianina, Chef du Service régional de Contrôle (DREF) a avoué que le système de contrôle a une faille, rendant difficile la lutte contre la déforestation qui est à l’origine des menaces sur les lémuriens.
A l’unanimité, les acteurs concernés par la protection de la forêt critiquent la structure de conservation de la biodiversité à Betioky-Sud : les travaux de conservation et de protection se basent sur la gestion commune et sont confiés essentiellement à la population locale qui se plaint de l’insuffisance de moyens techniques, logistiques et financiers.
La structure de conservation est comme suit, de bas en haut : le Comité villageois (VOI), le Comité local de protection (CLP), le Comité du dina (pour que le CLP ne soit pas à la fois juge et partie, le comité du dina a le pouvoir de tribunal local), l’Ecole supérieure des Sciences agronomiques de l’Université d’Antananarivo (ESSA), Madagascar National Park (MNP), le ministère de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts (MEEF).
Les VOI impuissants à cause du manque de soutien
Des membres du VOI dénoncent le manque de transparence, de partage équitable et de collaboration de la part des employés auprès de certains organismes d’appui. Le « VOI Ezaka » invalide les faux-rapports des professionnels travaillant dans les ONG de conservation, à l’instar de WWF. « Ces employés doivent faire un suivi mais ils ne font rien », révèle Thomas Etsifoe. Il raconte avoir déjà vu un très long et complet rapport sur son VOI, alors que l’employé de l’organisme qui a rédigé le document ne l’a contacté que 4 fois en l’espace de 2 ans. Le VOI travaille seul et n’a jamais bénéficié d’aucun financement. Il reproche également à la Commune et au Fokontany de toucher trop de ristourne.
« La faille se situe surtout au niveau de l’insuffisance de moyens matériels, techniques et humains. Le contrôle doit être réalisé en trois étapes – la patrouille dans la forêt, le contrôle sur la route et le contrôle sur les dépôts », explique de son côté Holede Bin Issouf, coordonnateur de projet de la Région Atsimo-Andrefana. « Les gendarmes ont besoin de véhicules, et nous avons besoin de plusieurs personnes. Au lieu de surveiller la forêt, la gendarmerie doit prioriser la lutte contre l’insécurité chaque jour », souligne-t-il.
Confiée aux villageois, la structure existante ne leur permet pas de mener à bien la mission. Des exploitants illicites de bois arrêtés au barrage de contrôle bénéficient des interventions et sont relâchés après. Ce qui décourage la gendarmerie et le VOI. Zigzag Randria, chef cantonnement de Betioky-Sud, témoigne que tout seul, il s’occupe de 27 Communes sans aucun moyen de déplacement, ni arme de protection. Or, les menaces de mort et d’agression sont fréquentes dans cette zone. Tous les braconniers refusent et trouvent toujours les moyens de se libérer des sanctions définies par le dina. C’est cette convention villageoise qui règle les délits locaux relatifs aux destructions forestières. En défrichement, le dina est fixé entre 100 000 et 200 000 ariary et personne n’a jamais payé, explique un élément de la gendarmerie locale. Quatre personnes ont été détenues en cellule et attendent leur déferrement au parquet. Pour le charbon, la sanction est entre 5 000 et 10 000 ariary et les sacs de charbon sont saisis par le VOI. « La coupe illicite est une pratique courante mais rares sont ceux pris en flagrant délit. L’argent ne rentre pas dans les caisses de l’Etat et il y a une énorme perte de valeur ajoutée. Il y a également une énorme perte éco-systémique vu que la régénération forestière est très difficile», confie Volatiana Rahanitrinianina.
Réalisée par Valohery Dominique