Grand Interview – Raniriharinosy Harimanana
«Nous sommes dans un contexte particulier où il n’y a plus d’Etat, les institutions n’ont plus leur fondement, la désobéissance citoyenne est quotidienne et il faut donc tout remettre à plat. Il faut que les Malgaches s’entendent entre eux pour que nous puissions espérer un avenir meilleur. » – Raniriharinosy Harimanana, Maître de conférences
Madagascar Matin : Cela fait maintenant presque deux ans que le régime Rajaonarimampianina tâtonne encore et la situation est délicate compte tenu des caisses vides de l’Etat. Pire encore, le robinet des aides budgétaires n’est pas encore ouvert. Quelle est la position de Madagascar sur la scène internationale ?
Harimanana Raniriharinosy : Il y a lieu de souligner d’abord qu’il n’y a pas que Madagascar qui soit dans de grandes difficultés à l’heure actuelle. Nous connaissons tous que le contexte international est inédit en ce sens que nous sommes dans un monde de plus en plus matérialiste, dans un monde essentiellement dicté par la loi de l’offre et de la demande, donc par la loi du marché. Cet aspect économique qui domine essentiellement le monde et bien entendu les pays en voie de développement comme Madagascar n’a pas de place. D’une manière générale, ceux qui peuvent jouir de la mondialisation sont essentiellement les grandes puissances c’est-à-dire les pays qui peuvent, qui disposent des moyens financier, matériel voire humain. Madagascar n’est pas encore dans un cadre assez propice pour cette mondialisation puisque la moitié de la population est analphabète, le taux de croissance actuel est insignifiant. A l’heure actuelle, dans ce contexte là, Madagascar se trouve dans le désarroi total et ce qu’il faut souligner est le fait que les gouvernants actuels n’arrivent pas à afficher leur détermination. En gros, nous sommes donc dans ce contexte de la mondialisation essentiellement économique et les pays en voie de développement comme Madagascar essayent de lutter contre le néocolonialisme. Nos gouvernants ne sont pas en mesure de nous sortir de cette impasse néocoloniale. Le contexte actuel n’est pas du tout favorable au démarrage économique pour Madagascar.
M.M. : Peut-on affirmer que c’est la faute du régime Hvm/Rajaonarimampianina ?
H.R. : Oui et non. Oui parce que depuis l’année dernière, les gouvernants qui sont là doivent assumer leurs responsabilités. Nous n’arrivons pas à démarrer parce qu’on n’a pas su mettre en œuvre le processus de « Fihavanana » consacré par la Constitution. Il faut d’abord passer par le « fampihavanam-pirenena » puisque nous savons très bien qu’à l’heure actuelle nous avons toutes les potentialités économiques sur cette île. Le problème n’est donc pas économique mais politique, et le redémarrage économique requiert d’abord un redémarrage politique. C’est donc un arrangement, ce qu’on appelle d’ailleurs le « Fihavanana ». C’est cet arrangement, cette fraternité qui n’est donc pas au rendez-vous. Depuis l’investiture du président de la République de janvier 2014, on a déjà eu 2 présidents de l’Assemblée Nationale, 2 premiers ministres, le Sénat n’est pas encore mis en place, la Haute Cour Constitutionnelle est contestée avec cette décision relative à un pacte de responsabilité. Tout est ambiguës et d’une manière générale, les institutions prévues par la Constitution sont contestées et ne sont pas les institutions qu’il faut à l’heure actuelle.
Mais ce n’est pas sa faute également parce que comme dit tout à l’heure, c’est le contexte international qui est difficile. Les grandes puissances et la communauté internationale en général n’assument pas ses devoirs, je dirais, humanitaires puisque nous sommes dans le contexte de la lutte contre la pauvreté dans lequel et il y a quand même un devoir humanitaire qui doit incomber aux pays développés. Cela nous rappelle la conférence de Monterai, de Mexique de 2002 sur le financement du développement. Il a été convenu que les pays riches et industrialisés octroieraient 0,7% de leur Pib pour la lutte contre la pauvreté et en revanche, les pays en voie de développement s’efforceraient de démocratiser leurs institutions. Le constat est le suivant : au lieu de voir triompher la démocratie, on a vu les guerres ethniques, les guerres civiles, les crises politiques successives à Madagascar et c’est le contexte idéal pour les pays développés de ne pas honorer leur engagement. Contrairement à la convention de 2002 sur le financement du développement, seuls quelques pays ont honoré leur engagement à la hauteur de 0,3 ou 0,4% de leur Pib. Les Etats Unis n’ont rien offert aux pays en voie de développement.
M.M. : Vous avez parlé de prise de responsabilité et évoqué les changements qui ont déjà eu lieu. Actuellement, on murmure déjà qu’un autre remaniement se ferait au retour de Rajaonarimampianina. Est-ce que c’est une solution ?
H.R. : Oui, bien sur, on murmure tout le temps ce remaniement gouvernemental mais est-ce que c’est la solution ? Je n’en sais rien du tout mais c’est vrai qu’il n’y a de précieuses ressources que les ressources humaines. Toutefois, d’une manière générale, je crois que c’est une question de régime, c’est une question institutionnelle. Il faut que nous nous orientions plutôt vers un développement institutionnelle, donc trouver justement dans le cadre du « fampihavanam-pirenena » les institutions adéquates à Madagascar. Remaniement ou pas, c’est tout d’abord un problème institutionnel, un véritable problème constitutionnel, donc un véritable problème de contrat social.
M.M. : En parlant d’institution, le régime se précipite à la mise en place du sénat qui est prévue par la Constitution malgré le fait que le processus des élections communales n’est pas totalement achevé. Comment interprétez-vous cette décision des dirigeants ?
H.R. : Je crois tout d’abord que nous ne devrons pas parler de précipitation. Je crois que cela se situe dans la suite logique de cette pression de la communauté internationale pour notre retour dans l’ordre constitutionnel. Rappelez-vous qu’on nous a contraints de revenir très rapidement dans l’ordre constitutionnel en organisant le référendum en novembre 2010, suivi des élections présidentielles, législatives et puis communales et municipales. Finalement, les sénatoriales ne sont autre que la suite logique de cette contrainte de la communauté internationale sur Madagascar. Encore une fois, puisque c’est la communauté internationale qui dicte la voie et que la volonté réelle des Malgaches n’est pas prise en compte, cela ne va pas aboutir ni à une sérénité tant attendu, ni à ce démarrage économique. Nous sommes encore actuellement dans le contexte de la mise en œuvre de la Feuille de route pour la sortie de crise à Madagascar comme l’a précisé récemment un émissaire de la Sadc.
M.M. : De ce fait, la stabilité politique et institutionnelle ne sera pas au rendez-vous d’ici la fin de l’année après la mise en place du sénat. Qu’en sera-t-il du futur du régime actuel ?
H.R. : D’abord, c’est le président qui a été élu au suffrage universel qui en est le premier responsable. Il lui appartient donc d’être le garant de l’arbitrage du fonctionnement des institutions comme le souligne la Constitution. Il doit donc essayer de nous sortir de cette impasse, pour ne pas dire crise, par le biais de la mise en œuvre de ce processus de « Fampihavanana ». En d’autres termes, la stabilité politique comme la stabilité en générale sur le plan socioéconomique doit d’abord résulter de cette réconciliation nationale où l’on doit tout remettre à plat pour que l’on puisse mettre de côté les mauvaises pratiques de gouvernance à Madagascar. Comme nous le savons, nous sommes dans un contexte particulier où il n’y a plus d’Etat, les institutions n’ont plus leur fondement, la désobéissance citoyenne est quotidienne et il faut donc tout remettre à plat. Il faut que les Malgaches s’entendent entre eux pour que nous puissions espérer un avenir meilleur.
M.M. : Vous avez abordé à maintes reprises le besoin impératif de la mise en œuvre du processus de réconciliation. Comment ce processus devrait-il être mené ?
H.R. : Tout dépend de la volonté du président de la République en tant que premier magistrat parce qu’en tant que chef d’orchestre, il faut qu’il essaye à tout prix d’organiser ce « Fampihavanana ». Au mois d’avril-mai, le « fihaonam-bem-pirenena » au Cci Ivato était déjà un grand pas mais il reste beaucoup à faire. Il faut que Hery Rajaonarimampianina essaye de parachever ce qu’il a déjà commencé pour une vraie reconstruction de la Nation malgache.
Laza Marovola