Des coups pour rien !
La dernière statistique connue de la population de Madagascar fait toujours état de 80% des habitants se trouvant dans le secteur primaire. Ce chiffre est officiel puisqu’obtenu d’un communiqué de presse de la présidence de la République sorti lors du forum des paysans qui s’est tenu en fin de la semaine dernière. Ainsi, 17 millions de malgaches travaillent la terre nuit et jour, du lundi jusqu’à dimanche et 365 jours de l’année, sans répit, sans relâche en subissant d’énormes difficultés connues depuis des siècles sans que l’Etat et ses têtes pensantes n’aient apporté de quelconques améliorations et sans que les productions obtenues n’aient emmené de changement positif dans la vie des paysans et dans le milieu rural en général. Effectivement, leurs conditions de vie ne cessent de se dégrader au fil du temps et les récoltes suivent ce rythme de régression, ou plus exactement la vitesse de plus en plus grande d’une chute vertigineuse. S’il y a quelques années, des foyers possédaient encore des bœufs, non seulement censés représenter une certaine richesse mais surtout un outil fondamental de travail qui diminue de plus de moitié l’effort physique humain exigé, à l’heure actuelle, le monde rural en entier en a été … délesté et le zébu, symbole de toutes les républiques qui se sont succédé à Madagascar – même que l’équipe nationale de football porte son nom -, a disparu du paysage. Les rares paysans, qui en possèdent encore, ont déjà un pied et demi dans l’au-delà puisque s’ils n’ont pas à faire, tôt ou tard et plutôt très bientôt que plus tard, à des dahalo maîtres de l’espace et du temps, les forces de l’ordre ou une quelconque autorité vont déclarer que ces biens sont … mal-acquis. Et dans ce dernier cas, le paysan ainsi que sa famille seront bannis de son village, pour être accueillis dans les prisons après, vont grossir le rang des sans-abris de la Capitale. C’est bien le cas de le dire quand on écoute le récit de la vie de ces laissés-pour-compte, des hommes dignes auparavant devenus des moins que rien par la suite.
C’est dans ce contexte désolant que le forum des paysans s’est ainsi tenu au Palais d’Iavoloha où 550 agriculteurs venant des 22 régions de l’île ont été invités pour assister au discours du président de la République. Hery Rajaonarimampianina a annoncé une série de mesures pour « procéder à la relance du secteur dont des formations à dispenser à 10 000 jeunes paysans sur la maîtrise des nouvelles techniques et technologies relatives à l’agriculture, l’élevage et la pêche ; la remise à jour des sociétés d’aménagement liées au développement des grandes infrastructures hydroagricoles ; la facilitation de la venue des grands investisseurs qui sont porteurs de nouvelles visions et de capitaux pour le développement d’une productivité de grande envergure ; et entre autres, la facilitation de l’accès au fonds de développement agricole et au renforcement de la sécurité dans le monde rural ». Bref, un programme qu’on n’a pas arrêté d’entendre depuis des dizaines d’années mais qui est resté au stade de l’intention.
Mais la première question qui vient à l’esprit, est sur la forme d’abord : sur quels critères ont été choisis ces représentants d’un secteur regroupant 80% de la population ? Les 550 participants ne sont en somme que 0,003% des 17 millions de personnes évoluant et vivant de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche à Madagascar. Et si ces derniers ont bien retenu la leçon, comment vont-ils déjà transmettre les … « bonnes nouvelles » acquis lors de ce forum aux 99,997% restants ? Pour ce qui est des infrastructures hydroagricoles, beaucoup constatent que les rivières de Madagascar sont en train d’être vendues à des opérateurs étrangers œuvrant dans le domaine de l’énergie et du coup, des parties de ces ressources sont devenues inaccessibles aux paysans. Par conséquent, les rizières se trouvant aux alentours de ces barrages appelés à fournir de l’électricité sont désignées à ne plus produire l’aliment de base des malgaches mais plutôt des briques. Pour ce qui est de la venue des grands investisseurs porteurs de nouvelles visions et de capitaux, on sait que la politique foncière du régime actuel a été carrément conçue pour cet objectif. Des milliers d’hectares de bonnes terres bien fertiles sont déjà prévus à cet effet aux dépens des malgaches qui espèrent élargir leurs champs, ne serait-ce que pour varier un peu ces menus quotidiens. Par contre, la facilitation de l’accès au fonds de développement agricole est toujours un mirage et jamais les paysans n’ont pu bénéficier d’un appui consistant et immédiat de la part de l’Etat et ce ne sont pas les dons d’un million d’alevins aux associations de pisciculteurs, de 22 000 poussins de moins de 2 mois pour les éleveurs, les 1 000 chèvres pour les régions du sud de Madagascar, les semences, engrais et autres outils – des dons de la présidence de la République lors de ce forum des paysans – qui vont faire enfin décoller le secteur primaire de l’île. Pour les institutions de microfinance, elles pensent d’abord à fructifier leur bénéfice si pour le volet sécurité, c’est comme l’American way of life, on l’a appris à l’école et cela reste un rêve inaccessible.
En somme, ce forum des paysans qui, à coup sûr, a coûté énormément d’argent aux contribuables, figure parmi les coups pour rien déjà entendus et vus depuis belle lurette et son impact reste imperceptible pour le développement de Madagascar.
Jean Luc RAHAGA