Mahery Lanto Manandafy – « Plus que 6 mois pour Hery Rajaonarimampianina »
Il a baigné dans la politique depuis sa plus tendre enfance aux côtés de son père, fondateur et leader du parti Mfm Mpitolona ho amin’ny Fandrosoan’i Madagasikara. Son regard sur la politique est plus qu’avisé et il nous livre ses impressions sur la situation actuelle du régime Rajaonarimampianina. Il, c’est Mahery Lanto Manandafy, fervent opposant au pouvoir qui n’a pas encore choisi la destruction en guise de solution si on comprend bien ses termes.
« Si la situation actuelle s’éternise, la fin de ce régime est inévitable » soupire-t-il. Pour lui, c’est impossible de continuer comme cela pendant des années avec un président plus qu’hésitant et un entourage problématique.
Madagascar Matin : Plusieurs membres de l’entourage de Hery Rajaonarimampianina ont toujours été au centre des critiques depuis un long moment, et depuis le début pour certains. Le problème se situe-t-il donc dans cet entourage ou le président lui-même est-il un problème à part entière ?
Certaines choses ne passent pas dans les actions menées par le président mais il faut également soulever que son entourage est très mal vu à commencer par la Première Dame et certains membres du gouvernement, dont certains abusent de leur pouvoir si d’autres n’ont pas les compétences requises. Je ne citerais par exemple que Rivo Rakotovao mais les abus de pouvoir sont généralisés.
Par ailleurs, on sait depuis le début que Madagascar est frappé par la crise mais les dirigeants n’ont pas pris leurs responsabilités au sérieux. Actuellement, la crise n’est pas encore en phase d’être résolue et le conflit entre la présidence et la primature n’arrange rien. A mon avis, la seule solution est la mise en place de la stabilité de l’Etat.
MM : La pompe à dollars n’est toujours pas ouverte, les bailleurs de fonds sont réticents à investir, « les caisses de l’Etat sont vides », rapportent les journaux de la capitale. La relation de Madagascar avec les principaux bailleurs et les Partenaires Techniques et Financiers est tendue, voire même trop conditionnée. Quelle est la meilleure solution pour le régime ?
Je voudrais d’abord souligner que j’ai été estomaqué quand ils ont publié la Politique Générale de l’Etat. Comment voulaient-ils créer 500 000 emplois en 18 mois ? Ce ne sont pas des faiseurs de miracles que je sache. Cela reviendrait simplement à créer 200 sociétés comme Tiko en plus des 100 autres comme Sodiat qui ont mis des années pour arriver à leur envergure actuelle. Du temps de Kolo Roger, celui-ci, fort de son voyage en Chine, a affirmé en public une aide de 100 milliards de dollars. Qui pourrait le croire alors que le Pib est de 10 milliards. Quel genre de dirigeants peuvent et osent emprunter dix fois plus que le Pib de son pays ? Après, il y a eu le Plan National de Développement et son Plan de Mise en Œuvre à hauteur de 18 milliards de dollars qui est complètement illogique. En clair, on se punit nous-mêmes. On donne des documents incongrus aux Ptf et le moment est venu de faire preuve de sérieux et de pragmatisme. Je suis, certes, très critique mais je sais que tout cela n’est qu’une mince affaire.
Madagascar est obligé de produire et d’exporter. On achète du pétrole, des 4×4 mais qu’est-ce qu’on vend ? Si ce schéma ne change pas, le pays ne fera que s’appauvrir. De ce fait, il faut se pencher sur l’emploi, sur le moyen d’attirer des industries et c’est le seul remède contre la pauvreté. Mais les gens n’osent pas venir investir en Afrique à cause des mauvaises pratiques et c’est cela qu’il faut régler pour aboutir à une stabilité. La solution n’est pas l’augmentation des postes politiques ni l’achat de 4×4 mais c’est plutôt politique de l’emploi et la répartition des richesses.
MM : Le régime Rajaonarimampianina a toujours été critiqué par sa lenteur d’exécution. La politique nationale de l’emploi vient d’être publiquement présentée presque deux ans après l’investiture du président, n’est-ce pas un peu en retard dans la mesure où le chômage n’a fait qu’augmenter depuis 2014 ?
Je suis moi-même étonné mais je félicite quand même cette initiative qui reflète en quelque sorte un développement. Toutefois, il faut se demander si le renforcement des capacités des futurs travailleurs coïncide avec des mesures concrètes d’allègement fiscal de la part de l’Etat qui puissent motiver les sociétés à recruter. La question primordiale est comment inciter les sociétés malgaches à recruter pour éviter que les jeunes se tournent vers le secteur informel. Aujourd’hui, il faut savoir que le vrai problème à Madagascar est la pauvreté, ce qui sous-entend la question sur les impôts. Mais, aucun Malagasy n’est conscient du fait qu’il faut payer des impôts pour permettre au pays de se développer. Ce qui amène les dirigeants à emprunter de l’argent auprès du Fmi ou de la Banque Mondiale, dont les conditions sont drastiques. Ce qui m’amène à souligner que nous dépendons aujourd’hui de ces bailleurs à 68% alors que la seule solution pour obtenir une vraie indépendance réside dans l’emploi. L’initiative du régime est louable mais il faut encore le renforcer pour obtenir des résultats concrets.
MM : Les dirigeants actuels garantissent une stabilité politique et l’établissement d’un climat d’apaisement avec la mise en place du Ceni et Sénat mais les critiques ont fusé de partout. Sont-elles justifiées ou non fondées ?
Sur la mise en place de la Ceni, je suis catégorique en affirmant que c’est une pure perte de temps. Combien de fois avons-nous déjà dépensé plusieurs milliards pour changer le code électoral et la commission électorale. Aujourd’hui, c’est juste la Ceni-T sans le T (pour transition) et il a fallu convoquer une session extraordinaire. Etait-ce réellement le plus important par rapport au développement économique de la population ? N’y a-t-il pas d’autres lois qui concernent concrètement l’assiette des Malagasy ? Jusqu’ici, que je sache, l’Assemblée Nationale n’a voté aucune loi qui ait eu un impact conséquent sur les caisses de l’Etat et c’est là que le débat devrait se faire.
Sur le Sénat, même si toutes les institutions prévues par la Constitution sont mises en place mais que les manières de faire et les comportements des dirigeants ne changent pas, il n’y aura jamais de stabilité politique. Seules les questions économiques concernant la répartition équitable des richesses entre les citoyens peuvent amener une stabilité. Mais ce n’est pas la mise en place du Sénat qui sous-entend un nouveau partage du pouvoir entre les dirigeants qui puisse aboutir à la stabilité. Ce n’est tout simplement pas logique et impossible.
MM : Que doit faire le président et le gouvernement ?
Ils doivent tout faire pour que la population ne souffre pas. Je ne dis pas que c’est facile mais il faut commencer dès maintenant. Si l’Etat n’agit pas, elle subira en premier les conséquences et c’est ce que relatent les différentes crises lors desquelles les dégâts ont été conséquents. Aujourd’hui, il faut demander aux dirigeants quelles sont concrètement leurs politiques d’éducation nationale, de l’emploi, ou monétaire. Mais le vrai problème se situe également sur l’absence de réelles convictions. Si les tenants du pouvoir continuent d’agir ainsi en restant au point mort, les évènements de 1991, de 2002 et de 2009 se répèteront certainement. C’est l’histoire qu’on aime tant perpétuer. La solution est la vraie stabilité et il faut arrêter les « ady lahy politika ».
MM : On ne cesse de parler de remaniement alors que le premier remplacement du docteur Kolo Roger par le général de brigade aérienne Jean Ravelonarivo n’a pas eu les effets escomptés. Est-ce encore une option possible ?
Soyons clairs, si la présidence et la primature ne s’entendent pas, elles ne font qu’empirer la situation parce que faisant des actions chacun de leur côté, il vaut mieux tout arrêter dès maintenant. Mais d’un autre côté, un remaniement met automatiquement fin à la continuité de l’Etat. Est-ce qu’on peut encore se le permettre ? C’est Hery Rajaonarimampianina qui décide. Ce dont a besoin un pays est la cohésion gouvernementale qui conduit également à la stabilité. Je l’ai toujours dit mais maintenant il faut que les dirigeants agissent, et vite. Si la population se rebelle, ils ne pourront plus rien faire. Et s’ils restent les bras croisés, je ne leur donne plus que 6 mois.
MM : Plus que 6 mois ?
Les frustrations de la population sont énormes et certaines décisions de l’Etat agissent comme des détonateurs de révolte populaire. Prenons la question des îles Eparses sur laquelle Hery Rajaonarimampianina doit trouver de vraies réponses pour que la population ne le fasse pas à sa place. Déjà que la Russie a giflé la France avant nous, le président ne peut pas continuer d’ignorer la situation et de détourner la conversation. Mais il faut prendre également en compte la diminution du pouvoir d’achat, principale source d’une révolte populaire. Les questions sur le carburant ou celle relative à la fierté nationale sont tous des détonateurs. Par ailleurs, il y a également les injustices aberrantes et inconscientes des dirigeants qui dépensent plusieurs milliards pour assister à une assemblée générale à New York pendant que des centaines de familles à Madagascar ne peuvent même pas manger quotidiennement. Il y a le délestage, l’augmentation de la facture d’électricité et de Symbion Power. Les problèmes qui peuvent provoquer le débordement de la population sont nombreux et le chef de l’Etat ne doit plus se placer dans le déni à chaque fois.
Laza Marovola