Silence, on juge
Le respect par le silence qu’exige la loi, et durant la phase de l’instruction et tout au long du déroulement du procès, et à l’endroit de l’autorité de la chose jugée trouve son fondement surtout dans la volonté de doter la Justice d’un caractère immanent, à l’abri des polémiques loin des dérives anarchisantes : on ne va pas se mettre tous à juger la Justice. On a autorité pour informer sur le déroulement, rapporter les décisions, mais on est tenu à se dispenser d’ouvrir d’autres débats relatifs aux arguments et aux mesures qu’adopte la Justice lorsqu’elle « dit le droit ». Cette exigence de mettre la Justice au-dessus des polémiques et des miasmes que génère la vie de société, repose sur un idéal, malheureusement comme pour tout idéal la réalité se charge souvent à le réduire à une vie végétative, voire à ne lui réserver qu’un espace virtuel. C’est que les personnes qui au nom de la Justice disent le droit n’en restent pas moins hommes de chair et de sang, et vivent des contingences identiques à celles dans lesquelles se débattent leurs concitoyens. Le principe de leur accorder la présomption de savoir s’élever pour pouvoir planer au-dessus de ces contingences pourrait paraître d’une grande présomption, si d’aventure la société pataugeait dans ambiance fangeuse. Le « silence, on juge » se réduirait alors en un « silence, on condamne », ou pire « vos gueules les mouettes ! On libère ». La réalité parfois dépasse la fiction, le problème se corse, au lieu de pouvoir y remédier le débat devient impossible lorsque chacun se cantonne dans la sphère de sa propre fiction. Ici dans le pays, tout le monde et chacun s’accorde la liberté de prétendre parler au nom du vahoaka. Ainsi par une prétention à vouloir précocement incarner eux-mêmes l’opinion, les possibles « éclaireurs d’opinion » perdent toute chance à influencer raisonnablement celle-ci et ratent l’opportunité d’appartenir à la classe des « faiseurs d’opinion ». Personne ne conteste la nécessité d’un assainissement dans la filière judiciaire. Même en accordant la présomption d’innocence à cette noble construction qu’est la Justice, il se raconte tant et tant qu’il en reste de lourdes suspicions qui pèsent sur elle. Seulement il n’y a qu’elle à pouvoir redresser cette image. Peut-être que ce moment est venu, la récréation de cinquante ans s’achève, et chacun doit rentrer dans les rangs. L’apaisement requiert de la justice qu’elle frappe juste sans obligatoirement taper fort. Peut-être qu’elle a voulu lancer un message dans ce sens en prononçant un verdict qu’elle a pris soin de rendre conforme au droit tout en considérant le climat actuel, en adoptant son verdict à propos de l’affaire que le public suit comme on assiste à un spectacle.
Léon Razafitrimo