Tiana – « La qualité de ma voix a rencontré le goût des Réunionnais »
Elle a bercé toute une génération de mélomanes et ses œuvres sont jouées des milliers de fois partout dans les bals, cabarets et même concerts de la Grande île si certaines grosses pointures mais aussi les nouveaux talents, reprennent ses chansons pour les modeler à leurs façons. On parle bien sûr de Tiana qui a établi sa base à une heure et demie de vol de son pays natal et qui vient de sortir son 6ème album.
M.M : Cela fait au moins une vingtaine d’années que vous avez élu domicile à La Réunion. Pensez-vous avoir fait le bon choix et estimez-vous que musicalement parlant, cela vous a-t-il permis de vous hisser sur un niveau plus élevé?
Tiana : Cela fait quinze ans que je suis à La Réunion, ce n’est pas tout à fait un choix, je débarquais sur l’île les pieds devant direction service hématologie avec sirène d’ambulance comme seule résonnance musicale. Deux ans de périodes sombres et zéro planning au niveau musical, puis changement de domicile, de mode de vie, traitement oblige.
La suite n’est qu’un parcours de combattant, La Réunion devient mon pays d’adoption, le processus d’intégration perturbe ma vision des choses: mon public change, la musique locale rythme ma journée, j’y trouve de la gaieté, une envie de rebondir et de créer ; l’album « Miharina » est donc fait avec la maison Jbemizik en 2005, sortie un peu discrète mais le mélange de tendance musicale des deux îles est réussi à mon sens, cet album a réactivé mes sollicitations scéniques d’où des tournées dans les îles voisines, de La Métropole avec la chanteuse Leila Negrau.
Pour répondre à votre question, être à La Réunion m’a-t-il permis de me hisser sur un niveau plus élevé? Quel est le niveau plus élevé dans une carrière musicale ? Le fait d’être à la Réunion m’a permis d’avoir un œil extérieur sur ma racine et mon identité musicale et cela a rajouté une touche formidable dans la couleur que je cherchais d’où l’album « Ibesafira », succès lors d’un sakifo off, et sélectionnée pour le plus grand festival de World Music (les docs du sud) à Marseille en 2008. Mon travail a porté ses fruits, pour moi c’est un niveau plus élevé dans ma carrière.
Ce recul m’a permis également de toucher d’autre valeur culturelle malgache, une autre facette de mon art qui est la confection de mode fait avec les produits textiles et le savoir faire malgache (lamba soga, lambahoany etc..), beaucoup de défilés ont été faits et ont été très appréciés.
M.M : « Laisse pas moins là » était une tube qui vous a propulsé sur la scène internationale. C’était, si notre mémoire est toujours bonne, votre premier album. Les autres productions qui l’ont suivie, n’ont pas connu le même succès dont certaines même avaient de très fortes teintes malgaches. Quelles sont les raisons de cette contre-performance?
Tiana : La chanteuse de Che Guevara était une chanteuse de rock avec une carrière très brillante dans son pays. Le producteur lui a imposé ce titre, elle l’a fait, cela a connu un succès mondial. Profitant de cette notoriété, pour l’album suivant elle a ressorti ses propres feelings : le rock, c’est l’échec total et jusqu’à maintenant on l’entend plus. « laiss pa moin là » n’est pas tellement moi, c’est une demande du producteur de faire un séga, chose totalement floue pour moi à l’époque, on m’a aidé pour faire ce titre et en plus c’était pour compléter l’album, il manquait un sega. Il est évident que refaire comme « laiss pas moin là » pour plaire n’est plus possible car mes créations se penchent plus sur les signatures bien malgaches » miala tsiny aho madama, fihavanana, Toamasina, viavy mandihy etc… » Il faut savoir que ma création dépend beaucoup de l’objectif (commercial ou passionnel), la circonstance d’écriture, je m’inspire toujours d’un analyse, d’évènement, de scène de vie, côté musical je m’inspire d’abord de notre racine rythmique avant de travailler sur l’ouverture et la fusion issues de mes écoutes et échange d’expérience avec des musiciens de tout horizon. Alors, je ne fais pas de la musique juste pour plaire à tout le monde, je fais ce que j’ai envie de faire d’abord, cela ne m’empêche pas de répondre aux attentes du public d’où la composition de certains titres commerciaux.
Eh oui à Mada, si on fait de la musique bien malgache, il faut bien moderniser sinon ça ne passe pas. Le fait que j’ai mis un peu de créole et du sega dans mes albums choque aussi certains malgaches.
Je pense que le succès d’un artiste à Madagascar repose beaucoup sur la programmation des médias, si on ne donne pas aux gens l’occasion d’écouter les nouvelles œuvres artistiques, l’artiste est classé inactif et « has been », pourtant il s’agit ici de la valorisation des valeurs culturelles de notre île mais ça malheureusement, c’est payant.
M.M : Vous restez une référence pour les artistes, le saviez-vous? Et jusqu’ici, aucun malgache n’a vraiment pu percer autant que vous à La Réunion. Ne serait-il pas temps maintenant de dévoiler le secret de votre réussite et de soutenir la nouvelle génération?
Tiana : Ceux qui sont en contact avec moi bénéficie déjà de bon nombre de mes conseils ( kopi colé, demande de chansons, demande d’interprétation de mes titres etc…). Beaucoup de jeunes talents font beaucoup mieux que moi à La Réunion, Elica est sollicité partout, Lubna a laissé de jolies traces dans le monde de la musique ici, Mezzanine musique est un groupe très apprécié, seulement je pense que se lancer à Mada n’était pas encore dans leur planning!
Il se trouve que la qualité de ma voix a rencontré le goût des Réunionnais, mais ils m’adoptent aussi par rapport à mes implications actives dans leur actions culturelles : chorale, actions de solidarité, évènements etc…
M.M : Vous venez récemment de sortir un nouvel album. Peut-on s’attendre à votre venue et quand?
Tiana : Effectivement, l’album « Takadanse » est sorti en novembre, certaines radios l’ont déjà, je suis mal placée pour savoir si les morceaux passent quand même sur les ondes???????
Je laisse la nature faire son travail, je ne booste pas les choses, si les échos sont bons, je viens, si c’est le contraire, je ne suis pas du genre à venir obliger les gens à m’écouter car c’est particulier chez nous, j’ai reçu beaucoup de messages, d’éloges, de signe de sympathie mais quand je viens, ceux qui ont parlé sont absents.
M.M : Tiana, une dernière question : est-ce que vous êtes consciente que vos chansons ont marqué au moins toute une génération ? Quel effet cela vous fait-il?
Tiana : Ca fait énormément plaisir, les gens m’envoient beaucoup d’anecdotes basées sur mes chansons, je suis contente, cela prouve que j’ai quand même laissé quelque chose d’inoubliable via mes chansons. J’espère que cela va continuer …
Je vous invite à écouter le nouvel album, c’est l’album de l’ouverture totale du pont Réunion-Mada.
Deux titres » Ravorontsiloza » et « Soa miditra » sont faits exprès pour transmettre aux jeunes générations ce patrimoine culturel, il y a la danse et chant pour « soa miditra » et j’ai repris la chanson « Ravorontsiloza » pour parler de l’attente du « Mana » qu’on vit actuellement quand on est à la recherche d’un emploi, on attend, on attend, et dans notre jargon, pour attendre ce qui ne vient jamais on dit » miandry an’ i Paoly », c’est dans la chanson.
Un autre titre » clik droit » parle du quotidien de notre génération » geek » actuelle, la difficulté de communication et le développement de l’individualisme, les jeunes, moins jeunes voire même nos aînés sont tous sur les outils « tic » maintenant !
L’album est multilingue mais je n’ai pas changé, je suis toujours ikalatiana mpihira, gasy et fière de l’être. L’extrait de l’album est à écouter sur www.tianamozika.com
Takadansé, 6ème album de Tiana
Production et édition : Jbemizik
Programmation/ arrangement : Jeannys Rakotohasimbola
Chœurs : Sitraka et Tiana
Photo jacquette : Davy THiaw-Woaye
Conception jaquette : Jean Luc Blard- Julie Boisson
Prise de son : Claude Emsallem
Studio : Kazmonmon
Interview par notre directeur de publication, Jean Luc Rahaga.