La patrie apatride !
Qu’est ce qu’un apatride ? Cela semble évident car étymologiquement, le mot apatride est composé du préfixe privatif « a » et de la racine grec « patris » ou patrie ou encore « terre des ancêtres », donc apatride désigne celui qui n’a pas de patrie, qui n’a de racine nulle part. Puis une première définition du terme est donnée par la Convention de New-York du 28 septembre 1954 selon laquelle un apatride est « toute personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ». Bêtement, un apatride est donc une personne qui n’a pas de nationalité, et plus clairement une personne qui ne bénéficie de la protection d’aucun Etat. Selon les chiffres du Haut Commissariat aux Réfugiés ou Hcr, il y aurait 12 millions d’apatrides dans le monde.
En ce qui concerne la patrie, qui n’a pas idée de ce que c’est ? On a tous entendu ce mot un jour, mais en connait-on le vrai sens ? Ce que cela veut réellement dire ? La définition communément admise fait de la patrie la terre des ancêtres, le pays d’où l’on est originaire et qui nous est cher, la nation à laquelle on appartient. C’est le pays dont on se sent étroitement et affectivement lié par l’histoire, la langue, la culture, les traditions, les habitudes de vie. En quelque sorte, la patrie n’est donc pas seulement une terre d’ancrage, mais aussi une culture que l’on partage avec nos compatriotes, une langue qui nous lie tous, et même les petites habitudes du « mofo gasy vao maraina » par exemple. Mais dans la pratique, la patrie est tout d’abord et reste en premier cet endroit vers lequel se tourne chaque individu, cet endroit d’où l’on vient et où l’on reviendra. Dans un raisonnement a contrario, et si l’on se réfère à tout ce que nous avons dit plus haut, la patrie pourrait aussi avoir une patrie et ce sera tout simplement ses citoyens. Si ces derniers gardent et possèdent encore dans leurs cœurs le « Tanindrazana » et les valeurs que cela renferme, les obligations que cela implique. En effet, dire tout simplement que tel endroit ou tel pays est sa patrie ne suffit pas, cela révèle nombreux devoirs et même sacrifice.
Au vu de la situation actuelle qui prévaut à Madagascar, notre cher pays n’a plus de patrie. Pourquoi ? En premier, chaque citoyen livré à lui-même dans son quotidien conçoit mal qu’on lui parle de « Tanindrazana ». Ce vocable, si noble pourtant, a été utilisé et souillé par ceux qui simplement avaient soif de pouvoir et de richesse et a perdu depuis belle lurette toute sa sacralité. A Madagascar, les rizières léguées par les ancêtres ont été remblayées pour donner place à de luxuriantes villas et appartements certes, mais inaccessibles pour le malgache qui mange non plus à la sueur de son front mais en hypothéquant chaque jour sa vie. Et cela est peu par rapport aux problèmes du foncier à Madagascar. Ne parlons pas de la culture que l’on ne retrouvera plus que dans les livres et manuels scolaire après le chapitre sur « nos ancêtres les gaulois » (que Dieu nous en préserve). En effet, nombreux sont les jeunes actuellement qui connaissent encore les us et coutumes malgaches. Ne parlons pas de la langue maternelle dans laquelle nous étions censés baigner depuis notre tendre enfance et qui nous berçait avec les « etsy babeko razandry » et autres « tononkalo » que l’on a du mal à retrouver maintenant, remplacés malheureusement, ou heureusement pour certains, par des Rihanna et des Gwetta venant des quatre coins du globe et qui contribuent à l’inculturation des jeunes, des « ho avin’ny firenena ». Et ne parlons surtout pas de l’insécurité grandissante et du rapport concernant le respect des droits de l’Homme à Madagascar qui fait de la justice malgache une justice coupable.
Les Anciens de la Grèce antique s’exprimaient en ces termes : « Rien n’est plus doux que la patrie, tout ce que les Hommes regardent comme divin et auguste, n’est tel qu’en raison de la patrie, cause et maitresse souveraine ». En effet, à nos yeux, la vue du grand canyon ou de la tour Eiffel ou des pyramides de Gizeh n’égalera jamais la beauté sauvage de la forêt de l’est ou des Tsingy du Bemaraha ou des plages éclatantes d’Iranja. Mais peut être cela justifie alors l’intérêt que l’on porte aux bois précieux de Madagascar, le bois de rose par exemple et nos minerais en ne parlant que de l’or ou du nickel et du cobalt, pourquoi pas et d’autres richesses encore tel le peuple. Tout simplement pour montrer au monde entier de la beauté et de la richesse de notre patrie qu’on vend au plus offrant maintenant et que l’on exporte à tout va à qui veut le faire. Et oui, notre patrie est belle, divine et auguste. Cela rappelle ce conte qui disait que Dieu avait donné son lieu de vacances, un lieu qu’Il avait fait pour Lui et où Il a mis tout ce qui était beau et précieux aux malgaches pour qu’ils y habitent.
En tout cas, tout cela ne présage rien de bon pour l’avenir de la patrie. En effet, quand le sol ne revient plus aux malgaches, quand la culture est en passe de disparaitre et d’être reléguée au rang de vestiges des temps anciens, la langue en voie de rejoindre le latin dans les langues mortes et surtout lorsqu’aucun citoyen ne bénéficie plus de la protection de l’Etat, c’est que les conditions d’une apatridie sont réunies. On s’attend alors prochainement à ce que le Hcr actualise ses chiffres et rajoute aux 12 millions d’apatrides dans le monde les 20 millions de petits malgaches. Et pire encore, notre patrie deviendra dans ce même temps apatride.
Ny Aina RAHAGA