La fripe au pouvoir
Le froid survient chaque année comme par surprise, et les gens s’en plaignent comme d’une épreuve inattendue voire inconnue. Réaction naturelle que cite un dicton du pays : « la tendance incline à oublier les frimas des années passées ». C’est que l’on a cette sensation de grelotter davantage cette saison, une saison que les gens du Nord peinent à qualifier d’hiver, et que pour couper la poire en deux on y adjoint la précision « austral ». Pas plus que la pluie, le froid ne soulage de l’inconfort de la pauvreté. Une lapalissade que de rappeler que moins on possède de quoi se couvrir moins on peut se protéger du froid. Heureusement qu’il y a ces tonnes de fripes que l’on importe, se félicitent à l’unisson population et médias. Il n’y a ni à se culpabiliser ni à avoir honte de se vêtir des hardes ni à chausser les groles dont s’est habillé et chaussé autrui sous d’autres cieux. Il suffit de s’accommoder de cette humilité, et de ne pas considérer comme humiliant d’acheter des restes. Acheter ! C’est l’évidence que l’on ne peut que reconnaître, la fripe fait l’objet d’un commerce organisé, qui prend de l’ampleur à l’échelon mondial. Le trafic avait commencé par les voitures d’occasion, les pièces détachées, les appareils électroménagers, des commentaires avaient alors glosé de la situation en qualifiant l’Afrique, Madagascar compris, de poubelle du monde. De moins en moins on traite avec mépris ce commerce tant le marché devient florissant et tant il contribue à faire tourner sinon en volume au moins dans l’esprit le schéma de la mondialisation. Les nationalistes qui suspectent de toutes sortes de secrètes manœuvres les « impérialistes », trouveraient matière dans le circuit de la « friperie mondiale » à commencer par se flageller eux-mêmes. Il n’y a pas meilleure illustration de dépendance que cette réalité qui fait que l’on doive se contenter des restes venus d’ailleurs, et que de plus en plus une majorité de la population, pour se protéger du froid ou même pour satisfaire une coquetterie naturelle et se mettre au diapason de la mode, n’a de ressources qu’à chiner entre confection d’occaz et du made in China, les deux niveaux accessibles au pouvoir d’achat de la moyenne population. Aucun devoir de complexe à vivre la situation si l’on éprouve un tant soit peu ne serait-ce qu’une velléité à devoir en sortir. Quelle contradiction en effet entre la vente des richesses extraites du ventre de la terre que l’on dit sienne et vêtir son peuple des guenilles déclassées du luxe ordinaire de chez les autres. Où vont donc ces richesses ? Il est sans doute normal à la limite qu’il y ait quelques privilégiés qui en tirent profit plus que les autres pour faire fortune, mais ce résultat ne saurait cacher toute la mauvaise affaire que représentent de soi-disant juteuses négociations quand le plus gros de la population croupit dans la misère. Les tonnes de produits halieutiques, de bois précieux, de minerais, de produits de culture dit de rente, méritent des projets de société dans laquelle la population trouve place à pouvoir travailler et vivre avec un peu plus de dignité et que la norme qui protège du froid soit autre chose que la fripe qui sauve.
Léon Razafitrimo