Rien à dire
Aujourd’hui, samedi matin après un vendredi des plus chargés, le réveil est assez difficile pour le commun des malgaches. Tout d’abord parce qu’hier, c’était le traditionnel vendredi magnifique. Une petite échappatoire pour tout un chacun d’une vie où le répit est rare sinon inexistante, et où le quotidien est meurtrier. Ensuite, vu la semaine passée, il est clair que la fatigue a gagné la majorité d’entre nous. Jamais nous n’avons été aussi pleins, plein de regrets, de peines, d’obligations. Plus accablant encore, nous ne pourrons bientôt plus nous confier sur tout ce qui nous peine ou nous attriste, sur ce qui nous révolte ou sur nos états d’âme. Ce qui est pourtant nécessaire tout d’abord pour le bien être de chaque individu, ensuite de la société en elle-même et enfin de la Nation toute entière. Alors en ce samedi, il serait mieux de nous limiter dans ce que nous dirons. De plus, le week-end débute et il ne serait pas de trop de s’accorder une petite pause, un week-end un peu tranquille.
Ce ne serait pas de trop car durant cette semaine, on en a vu de toutes les couleurs, ou du moins, on a eu des bleus partout sur le corps. Dans un premier temps, nous avons reçu un premier coup de la part de nos parents, s’ils sont dignes d’être appelés ainsi. On parle bien sur des tenants du pouvoir sans qui les frais de transport dans la capitale n’auraient pas augmenté. Il est vrai que la hausse n’est pas encore appliquée jusqu’ici, mais c’est pour bientôt ont avisé les coopérateurs. Sans ces vénérables à la tête de l’Etat qui n’ont pas payé les subventions des transporteurs, qui laissent la détermination du prix du carburant au bon vouloir des compagnies de distribution. En effet, alors que sur le cours mondial, le prix du pétrole connait une baisse conséquente, chez nous, et seulement chez nous, les prix flambent jusqu’à atteindre un record dans l’histoire. Il est donc normal que ce soit nous qui recevons la fessée des prix et qui seront bientôt obligés de faire nos trajets avec la ligne 11 tandis qu’eux sortiront encore et toujours dans de belles voitures neuves qui nous couperaient le souffle. Tant mieux, cela nous fera moins de gyrophares dans les rues et peut être plus de savoir-vivre dans nos circulations vu qu’il y aura moins de voitures sur qui exercer cette autorité. Mais nous n’avons rien à dire concernant cela. De même, le prix de l’électricité a augmenté de l’ordre de 20%, alors qu’elle se fait de plus en plus rare dans les ménages malgaches. En effet, l’Etat ne sait pas non plus comment réduire le coût de l’électricité. Par contre, il sait comment réduire la consommation des ménages tout en augmentant la facture à payer chaque mois. Car c’est ce qui se passe actuellement, moins on utilise l’électricité, plus la facture devient salé. D’ailleurs, ce n’est pas de notre propre gré que nous utilisons moins l’électricité, encore vital dans un pays comme le nôtre. Mais à force de délestage, la consommation diminue automatiquement. Alors on finit avec des bleus, en étant obligé de faire des kilomètres à pied, en se cognant dans le noir ou pire encore, en se faisant attaquer par des bandits faute d’éclairage. Au-delà de tout ça, nous avons aussi mené un rude combat cette semaine. Juste pour se faire entendre (une dernière fois peut-être bien) par nos dirigeants. Car dans cette tentative acharnée de museler tout individu qui s’aventurerait à faire une quelconque remarque, nous avons atteint un sommet que personne dans l’histoire de ce pays n’a jamais franchi. Allant jusqu’ à faire ou faire s’agenouiller des grandes personnes, le régime a franchi les limites acceptées par la culture malgache, qui met les grandes personnes à une place respectable dans la société. Personne n’oserait regarder ses propres parents s’agenouiller pour une quelconque demande. Des bleus aux genoux donc, et des tapes ou plutôt des claques en pleine face quand le chef suprême dénigre la presse et le peuple malgache par l’occasion dans les radios étrangères.
Ce qui nous attend est peut être pire encore que ce qui est déjà arrivé. Les transporteurs ont annoncé qu’ils n’en resteraient pas à cette première augmentation. Sûrement le coût de la vie va suivre le court des évènements. Et dans le courant de la semaine, nous nous serons agenouillés pour des prunes, face à l’entêtement de nos détracteurs. Mais profitons de ce week-end car tout cela a été au-delà du supportable, sans même prendre en compte notre condition de vie misérable. Un week-end où il faudra se ressourcer au maximum. Car peut être la semaine prochaine nous ne pourrons plus rien dire, mais cela ne signifie pas que nous ne dirons plus rien.
Ny Aina Rahaga