« Je voulais juste … »
Il y a trois ans de cela, nous tous, conscients de notre devoir de citoyen, sommes allés aux urnes, en souhaitant sortir notre chère patrie de l’impasse dans laquelle on l’avait mise. Ce vote revêtait une importance capitale car il signifiait, soit le retour en héros d’une personnalité déjà rejetée par le peuple cinq années auparavant, soit la continuité de la lutte entreprise par tout un peuple en quête de changement. Alors le choix était vite fait et hors de question de faire machine arrière, de revenir sur les erreurs du passé. Ce serait comme se nourrir de son propre vomi, chose déconseillée par souci de santé mais aussi vraiment répugnant si l’on se penche sur le côté humain de la chose. On n’aurait pas osé servi ça à nos enfants, notre avenir et l’avenir de notre pays. On avait fait le choix d’avancer, tout en sachant les défis que cela représentait pour toute une population. Mais voilà qu’une fois en place, une fois élus, ceux en qui nous avions confiance, en qui nous avons mis nos espoirs, se sont pas gênés pour nous tourner le dos. Pourtant, nous voulions juste ce qu’il y avait de mieux pour le pays et ses habitants.
Aujourd’hui, malheureusement, seuls les regrets nous tiennent compagnie, dans le noir profond où l’on se trouve. Noir de trop de pauvreté mais aussi du fait que l’électricité n’est plus, soit trop chère, soit juste coupée pourtant sans cause apparente. Nos ancêtres avaient pourtant dit « Aleo enjehin’ny biby masiaka toy izay enjehin’ny eritreritra », soit il vaut mieux être poursuivi par une bête féroce que par les regrets. Ce qui n’est pas notre cas, les regrets remplissent nos pensées chaque jour durant. En entendant la hausse des prix du carburant déjà exorbitants, on se nourrit de regret au petit déjeuner. Face à l’augmentation des factures d’électricité, on s’alimente de regrets au déjeuner et pour le dîner, en rejoignant le foyer, les regrets d’une hausse de tickets de bus nous rongent, en nous rappelant du temps où on payait bien moins. Et encore si ça n’était que cela. Nos compatriotes ont été tués lors de la célébration de la fête de l’indépendance, alors qu’ils voulaient juste se divertir, échapper au stress quotidien et se permettre un peu de détente sans passer par la caisse. Désir qui s’est vite transformé en cauchemar ensanglanté, sur une charrette en direction de l’hôpital. Pour certains d’entre nous, le cauchemar commence depuis le plus jeune âge. Car privé de scolarité, déjà atteint de malnutrition chronique, peu d’entre eux verront le pays se relever et devenir une grande puissance mondiale, une utopie jusqu’ici. Des enfants déjà condamnés qui souhaiteraient juste une fois goûter au miel, au riz et à la viande qu’a à offrir leur terre. Loin de vouloir l’or et les pierres précieuses du sous-sol malgache déjà offerts en offrande aux étrangers, aux plus offrants ou même à qui le veut. Nos collègues et nous même avons, hier, voulu enterrer la liberté d’expression ou la liberté elle-même. Chose normale car cette dernière vient d’être assassinée, et en tant que grand principe des pays démocratiques, elle mérite des obsèques digne de ce nom. Ainsi, ceux qui ressentent encore le devoir qu’exige la citoyenneté ont joint les rangs des journalistes, communiés à cette douleur qu’est la perte de la liberté. On avait aperçu la société civile, les activistes des réseaux sociaux et tant d’autres personnes. La douleur ne se célèbre pas, la mort se vit dans le silence et dans la tristesse. C’est ainsi que ces derniers ont juste voulu marcher en silence vers Analakely où l’enterrement devait avoir lieu. Sauf que les éléments de répression du régime étaient déjà sur les lieux, verrouillant l’accès au site d’enterrement. Or, les assassins devraient tout simplement se réjouir lorsque la victime rejoint l’outre-tombe et que la famille décide de passer outre cet acte abominable.
Il semble que depuis le début, on s’était trompé dans nos choix, ce qui nous a amené là où nous sommes actuellement. On voulait juste construire un avenir meilleur pour notre progéniture. On s’est retrouvé dans la plus inhumaine des situations, plongeant la génération future dans un gouffre sans fin d’où il sera difficile de remonter. On souhaitait rejoindre le foyer ou partir de bon matin pour pouvoir travailler mais on se retrouve avec un bois rond en pleine tête et un allé simple pour l’hôpital ou la morgue. Et on avait pensé qu’élaborer un code de la communication de manière consensuelle avec ces énergumènes qui nous ont fait tout ce mal étaient la voie à suivre. Mais véritablement, on se retrouve pieds et poings liés car on le voulait juste.
Ny Aina Rahaga