Le jour des poubelles
Lors de la célébration de la fête du 14 juillet à la résidence de France, nombreuses ont été les discussions entendues ici et là, mais le dialogue d’un groupe de jeunes gens nous a particulièrement étonné. Voici pourquoi : avant même le début de la cérémonie et la levée des verres, arrivèrent les diverses autorités invitées pour l’occasion. A l’écart un groupe de quatre personnes, pas plus de la trentaine et à l’abri de toute oreille indiscrète. La discussion était politique, chose déjà pas évidente. Mais en écoutant attentivement et en nous joignant un peu à la discussion, l’échange était intéressante et intrigante à la fois. Loin des discours politiques habituels, on entendit la réaction d’une jeunesse consciente de la situation actuelle du pays et de son devoir en tant que citoyen. « La situation des malgaches est de plus en plus insupportable chaque jour (…) la classe politique et surtout les dirigeants actuels se foutent royalement de ce que le peuple endure, de plus toujours à l’étranger dans les moments critiques ou importants pour le pays, et on ne sait pour quelles raisons (…) la semaine prochaine, les frais de bus vont augmenter et comment fera-t-on ? Mais peut-être est-ce mieux ainsi avec les embouteillages (…) si au moins on parlait de dictature éclairée, mais là c’est loin d’être le cas (…) la classe politique doit être changée, sinon, ce sera toujours ainsi (…) les malgaches se complaisent trop dans la médiocrité, on mérite mieux que ça ». Voici un petit extrait de la conversation d’un groupe de jeunes longue d’environ une heure.
Loin de chez nous, on procède non plus à des discussions ou à des dialogues mais à une toute autre forme de l’expression et un franc usage de ce qu’on appelle la liberté d’expression. Plus précisément, l’histoire se passe en Ukraine, loin d’être le pays le plus démocratique qui soit au monde. Le phénomène a même reçu une appellation et la vidéo de cet acte héroïque a fait le tour de la planète. Il s’agit du « Trash Bucket Challenge » comme les internautes se plaisent à l’appeler, inspiré notamment de l’ « Ice bucket challenge » qui a mobilisé des millions voire des milliards de personnes. Le « Trash buckket challenge » a été lancé par des ukrainiens nationalistes et le challenge consiste à jeter dans les poubelles les politiciens corrompus et qui déplaisent au peuple, puis à les faire rouler dans la poubelle dans la ville. Ainsi, la vidéo du député ukrainien, Vitaly Zhuravsky, jeté dans une benne à ordures par une foule en furie, avait fait le tour du web. Vitaly Zhuravsky, un député ancien membre du parti de l’ex-président Viktor Ianoukovitch, a été jeté dans une poubelle par une foule en colère alors qu’il marchait dans la rue. Il fut l’auteur d’un projet de loi en janvier 2014 visant à réprimer les manifestations anti-gouvernementales. Selon la presse à l’époque, il avait également rédigé un projet de loi criminalisant la diffamation. Coïncidence ou pas, on réprime aussi les manifestations à Madagascar et une loi criminalisant les délits de presse est en cours d’adoption. Et le « trash bucket challenge » ne s’est pas arrêté à une seule victime. Sur une nouvelle vidéo qui recense ces « exploits », c’est un député du Parti des régions, Nestor Shufrych, accusé d’avoir causé un accident de voiture sous l’influence de l’alcool qui est jeté dans une benne puis aspergé d’encre bleue. L’incident s’est déroulé dans la ville d’Odessa. Puis, le docteur Manolia Migaychuka, qui a refusé de démissionner sous la pression de la foule d’activistes, est mis à la poubelle. Il a tenté de s’échapper mais avant même d’avoir mis un pied à terre, il était repris. La dernière partie de la vidéo permet de découvrir le mauvais sort réservé au vice-président du conseil régional Alexander Danilchuk. Le 26 septembre 2014, lui aussi a été jeté à la poubelle, dans la région de Rivne, avant d’être roulé dans la benne jusqu’à la mairie. Depuis, ce geste symbolique est devenu un sport pour les contestaires ukrainiens qui visent les responsables politiques soupçonnés de corruption.
Alors on ne peut s’empêcher de transposer cette situation à la nôtre. Que se passerait-il si on en venait à jeter nos politiciens dans les poubelles ? Pas tous évidemment, mais ceux qui ont fait de leurs promesses, de leurs responsabilités ou de leurs éthiques un papier à emmener aux toilettes. Et bien sûr, comme à l’ukrainienne, les corrompus. Et bien la réponse à la question, ce serait que les poubelles de la Commune urbaine d’Antananarivo ne suffiraient sans doute pas. Trop de monde devraient être jetés dans les poubelles, car tous seraient des ordures. La discussion de ces jeunes malgaches qui se trouvaient à Ivandry hier va dans le même sens. Constatant que ce pays a besoin de changement, radical, et que la plupart des politiques sont aujourd’hui bon à rien et/ou à jeter. Malheureusement, il est aussi vrai que les malgaches se complaisent dans la médiocrité bien qu’ils aient droit à plus que ça, mieux en tout cas. Contrairement aux ukrainiens qui, eux, décidé d’agir de la manière qu’ils ont jugé approprier à la situation. A quand le jour des poubelles pour les malgaches?
Ny Aina Rahaga