Phénomène « dahalo » : quand la tradition devient fléau
Depuis plus de cinq mois, le phénomène « dahalo » dans la partie sud de la Grande Ile n’a cessé de créer une psychose au sein de la population malgache. Si les parties Est et Nord de Madagascar sont plutôt connues pour les cultures d’exportation, le Sud et l’Ouest sont en revanche plus enclins à l’élevage. Belo-sur-Tsiribihina dans le Menabe, Behara dans l’Androy, Ranomafana dans la Région Anôsy, Miarinarivo dans le Bongolava et la Région Amoron’i Mania sur les hautes terres centrales sont les principales zones où sévit le phénomène. Ce n’est pas le fait du hasard si la partie sud est devenue le théâtre des actes des « dahalo » qui n’ont plus peur de tenir tête aux éléments des forces de sécurité lancés à leurs trousses.
Les vols de zébus et la tradition
Voici quelques faits réels qui entravent l’éradication des vols de zébus dans le sud. En général, dans la partie sud de l’Ile, à l’instar des Régions Anôsy et Androy, les familles sont majoritairement composées d’éleveurs. Dans cette partie de l’Ile, quand on dit que X est allé voler du zébu, c’est comme si on disait qu’il est allé jouer au foot sur les hautes terres centrales. Voler des bœufs est comme un jeu pour les jeunes de cette partie de l’Ile.
« Havilasy » ou la cérémonie funèbre
Par ailleurs, dans cette zone, une famille qui possède moins de dix têtes de zébus ou bien qui n’a pas les moyens de tuer le maximum de zébus lors d’une « Havilasy » ou décès d’un proche est considéré comme pauvre. Alors que dans la majorité des cas, ce sont les zébus qui n’ont pas de passeport et que les autochtones appellent « Tsy Agnate boke » que la famille abat durant les jours de veille funèbre. Quand il y a un décès dans un groupe d’ethnie qu’on appelle « Mitolompaty » qui tient le corps du défunt le plus longtemps possible jusqu’au jour de funèbre. On peut constater que les zébus tués ne laissent jamais de trace que ce soit la peau ou la tête. Personne ne connait le moment où le zébu a été tué encore moins leur nombre. Les invités ne voient que les viandes déjà servies durant les funérailles. C’est surement un moyen pour les Malaso de blanchir les zébus volés car ce sont des « Agnobe maloto boke » qui ont des passeports sales et à échanger contre des « Agnobe agnate boke », des zébus déclarés, qui ont un passeport régulier appartenant à la famille du défunt. Au lieu de tuer un zébu régulier, la famille échange un zébu contre quelques têtes de zébus volés avec les dahalo durant les rites. Cela leur permet de gagner en réputation aux yeux des autres habitants. De leur côté les Malaso sont tranquilles car ils ont obtenu des zébus réguliers contre ceux qui ont été volés.
Les « Dabo-kandro » et « takalo tsy mira »
En outre, ce n’est pas seulement dans les rites funéraires que les zébus volés sont trafiqués mais aussi avec les autochtones appellés « Takalo tsy mira » ou échange inéquitable, 10 têtes de zébus volés contre 3 tête de zébus réguliers. Les plus concernés sont les « Mpagnarivo ou les Mpagnamaro » ce sont les riches trafiquants de zébus ou les « Mpanao Dabokandro» ou les riches trafiquant de zébus qui usent de cette pratique pour gagner plus.
On peut se demander où sont les autorités dans tout ça ? Les forces de l’ordre maitrisent bien leur métier mais la faille se trouve dans la collaboration entre les agents de forces de l’ordre et la population locale. Cette dernière ne fait jamais appel aux forces de l’ordre qu’en cas de vols de grande envergure qui nécessite une grande course-poursuite.
Les Dahalo et les Autorités « Mataho-bazaha »
Un autre cas est ce que les habitants appellent « Mataho-bazaha» ou la crainte des autorités. Si un jeune homme ou une jeune femme a été surpris en flagrant délit de vols, ses parents usent de tous les moyens pour éviter le déferrement de l’affaire devant le tribunal. Si on ne dénonce pas un vol de zébus durant plusieurs jours, les élus (autorités) sur place s’énervent car elles ne trouveront pas quelqu’un pour être « ho zakagne ou hokabaroagne » ou être jugés publiquement, qui est un vrai déshonneur pour une famille. Pour éviter cela les autorités se font de l’argent ou « Hory » selon les termes que l’habitant local utilise, à titre de corruption émanant de la famille de l’accusé pour son intervention. Car les autorités élues sont des « toteny » que les gens écoutent et qui pourrait amadouer les avocats si l’affaire passe devant le tribunal qui est un cas très rare. A signaler qu’un sur 10 arrive devant le tribunal car tout est résolu à l’amiable dans le village par le biais de cette personne élue. Pour les habitants, le rôle d’une autorité est de protéger les « boriza » ou le peuple, pour le meilleur et pour le pire.
Voila un exemple de l’une des pratiques de la population au cas où les forces de l’ordre arrivent sur place. Après la salutation entre les grandes personnes, les agents des forces de l’ordre sont invités à entrer dans une maison et on leur sert une grande « sopera » (soupière) de riz et l’hôte sort de la maison. Ce n’est nullement une grande soupière de riz comme nous avons fait allusion mais de l’argent contenu dans une soupière. Devant cette situation les forces de l’ordre oublient la raison de leur arrivée dans le village.
Effectivement, il est donc impensable d’éradiquer les « Malaso » dans le Sud, une activité « jeu » pour la majorité des jeunes. D’un coté les « Dahalo » en col blanc ne font que favoriser ce fléau qui mine l’économie du pays à cause de leur égocentrisme et leur gabegie notamment dans les zones reculées qui sont souvent les cibles des « dahalo ».
Dina, efficace mais difficilement applicable ?
Tradition devenue aujourd’hui l’un des plus grands fléaux que la Grande Ile ait jamais connu, le vol de bovidés par les « dahalo » rappelle la convention collective qui permet de gérer la situation dans les zones reculées du pays : « le dina ». Ensemble de règles qui permettent l’organisation de la société, le système permet non seulement une sécurité publique dans la circonscription où il est appliqué, mais constitue également une participation citoyenne car elle naît d’une concertation entre les habitants d’une circonscription donnée, à la suite d’une adoption par la majorité absolue. Cependant l’application du « dina » connait des blocages. La superposition entre ce que le peuple croit juste ou « ara-drariny » et ce qui est autorisé par la justice ou « ara-dalàna » ne donne pas son envol à un système défini comme l’une des méthodes les plus démocratiques pour responsabiliser la population. Exemple du district de Mitsinjo…
Février 2012 ; district de Mitsinjo, dans la région Boeny. Plus de 2000 habitants sont réunis afin d’élaborer la dite convention. Les témoignages qui expliquent cette ruée vers la mise en place d’un cadre de gestion de la sécurité sont nombreux. « Voilà des années qu’il est impossible d’avoir la conscience tranquille à cause des voleurs de bovidés. Nous sommes constamment sur le qui-vive », se plaignent les uns. « Plusieurs villages sont aujourd’hui abandonnés car les habitants fuient les « dahalo », laissant derrière eux des années de labeur » argumentent les autres. Après plusieurs heures de discussions, des bureaux exécutifs ont été mis en place après la rédaction en bonne et due forme d’un procès-verbal, mentionnant les mesures relatives aux situations d’insécurité, notamment le vol des bœufs. Le constat est immédiat, les problèmes d’insécurité se réduisent à vue d’œil jusqu’à ce que le tribunal ordonne l’arrêt de son application. « Pour faire court, le « dina » convenu a été appliqué au voleur de bœuf qui a alors saisi la justice. Les membres du bureau exécutif du dina ont été jetés en prison. En fait, le système n’ayant pas été homologué par les autorités locales, le « dina » a dû être suspendu », explique t-on. En effet, l’application du « dina » nécessite une homologation et une publication à l’intention de la population concernée pour entrer en vigueur.
Septembre 2012. Le vice-président de Mahajanga au sein du Congrès de la Transition et ses collaborateurs effectuent une descente sur place pour constater de visu la situation. « De nouveaux bureaux exécutifs ont été mis en place pour une mise à jour des règles établies dans la convention collective et un appui sera apporté pour que les autorités locales accordent enfin l’homologation », annonce-t-on en perspective. Mais la tâche ne s’annonce pas facile. « L’homologation prend du temps, mais impossible de dire s’il s’agit là de semaines ou encore de mois. Ce qu’il faut souligner c’est que l’obtention de cette homologation dépend de la personne même qui apposera sa signature, s’il est favorable ou non à la mise en place du « dina » », précise le vice-président. Sur le terrain, la convention collective est réputée comme efficace et même reconnue et respectée pour avoir l’adhésion de tous. « Les forces de l’ordre sont très peu en nombre et ne peuvent donc pas riposter » fait-on remarquer.