Poussé à bout
Aller faire un tour dans les différents bureaux des services publics de la capitale un jour de lundi, vous aurez une bien belle définition, avec illustration à l’appui, de ce qu’est le chaos. D’ailleurs, vous pourriez passer au jour où il vous conviendra, le spectacle est perpétuel, quasi-journalier. Ce genre de chose est une routine dans nos services publics, depuis toujours. Les usagers doivent faire une queue longue de plusieurs heures pour être ensuite reçus avec le minimum du possible. Et tous les usagers des services sauront de quoi il s’agit. Aucun effort, même pas une petite touche d’hypocrisie pour masquer ce manque de civisme alors qu’on se prévaut faire partie de la machine administrative. Il n’en est plus étonnant si le pays en entier se complaît dans la misère et la plus choquante des pauvretés, celle de l’être. D’un autre côté, ce genre d’attitude pousse les usagers et les citoyens à bout. Ils sont poussés au-delà de ce que la tolérance la plus parfaite et la plus patiente qui soit permise. Arrivé à ce stade, deux solutions seulement s’offrent à eux : soit exiger le changement par tous les moyens, soit contourné ce système inapte et inadéquat au fonctionnement de l’Etat. N’oublions pas que le service public est une activité de l’autorité publique censée répondre à l’intérêt général mais aussi et surtout la première image de ce qu’est l’Etat, ses dirigeants.
La première alternative comme nous l’avons souligné plus tôt consiste à contourner le système pour pouvoir éviter d’en subir les conséquences négatives. Si dans les services publics normalement la prestation devrait être réalisée dans un laps de temps moindre, les usagers doivent observer plusieurs heures de patience. La réalité oblige, après les longues files d’attente devant les bureaux de nos arrondissements, préfectures ou autres bureaux administratifs, les pratiques observées dans ces lieux rajoutent encore plus de temps (perdu) encore dans les agendas des usagers. Ainsi, pour éviter la chose, les usagers sont obligés, par le système donc, de glisser un billet entre des feuilles. Cela s’appelle de l’huile pour faire avancer le service public, du fait que la machine administrative grince et coince à chaque fois qu’on doive l’utiliser. Ainsi, l’Etat qui est le premier responsable du fonctionnement de la machine administrative pousse les usagers à agir de la sorte. L’huile qui fait fonctionner l’engrenage administratif est de la marque, et vous l’aurez deviné, « corruption ». Une des marques les plus répandues dans la Grande île lorsqu’il est des besoins urgents ou lorsque le passage par les bureaux administratifs est un passage obligé. Relation logique, l’Etat pousse les citoyens à la corruption, ni plus ni moins. Et quoi que l’on dise, c’est un fait avéré. Alors, on dira qu’il est de la responsabilité de chacun de lutter contre ce fléau et le premier à devoir donner l’exemple comme dit l’adage est celui d’en haut. Les faits de malversations et corruption en haut lieu ne sont plus des faits étrangers aux citoyens malgaches. Pour l’obtention de « faveur » – ou de ce qui est dû de droit – chacun fait donc son possible. En effet, si pour déclarer la naissance d’un enfant ou le décès d’un proche à travers une feuille A4 contenant tout au plus 5000 caractères, il est nécessaire d’attendre plusieurs jours, il est bien évident qu’il est nécessaire d’huiler la machine.
En somme, le recours à cette méthode est le résultat des actions des dirigeants et des responsables administratifs dans le pays. Aucune volonté ne se reflète chez ces derniers dans la lutte contre la corruption, à grande ou à petite échelle. La population, les simples citoyens subissent les méfaits des dirigeants et doivent payer le peu qu’ils ont pour accéder à leurs droits les plus absolus. Torturés par la lenteur administrative et le chaos qui règne dans l’administration publique, les usagers doivent chercher un moyen de subsistance, un moyen de survie et l’exemple vient d’en haut. Aujourd’hui, la carte d’identité nationale ne se délivre pas en deux mois. Que dire face à cela, on en reste bouche bée. Aujourd’hui, nous reprendrons cette phrase de Sun Tzu dans l’Art de la guerre : « ne poussez pas un ennemi aux abois ». Encore une fois, le peuple n’est pas un ennemi. Mais à force d’en faire la cinquième roue du carrosse et de ne s’en soucier que dans le besoin, cela aboutira irrémédiablement à le pousser hors de sa patience et de sa tolérance. Et on sait ce qui se passe quand le peuple est poussé à bout.
Ny Aina Rahaga