Système de la terre brûlée
Ils pillent le bétail, saccagent et brûlent les cultures, mettent le feu aux cases, incendient des hameaux entiers. S’ils n’ont pas encore systématisé la méthode, ils pratiquent déjà ça et là le système de la terre brûlée. La population prend peur, les gens en famille ou par îlots entiers d’habitation « s’écartent » (littéralement, « mikisaka »), abandonnant là une partie de leur vie, peu souhaitent y revenir. La peur de mauvaises rencontres (hordes de bandits ou troupes des forces régulières) les oblige à éviter les grands axes, nombreux ne possèdent pas de papiers d’identité, certains n’ayant pas d’état-civil n’existent donc même pas civilement. Ces déplacements de population ne font pas spectacle des exodes pour fuir la guerre, en moins grand nombre et moins visibles sous les feuilles et derrière les taillis, déterminés ils tentent tous de rejoindre gros bourgs, grands villages et chefs-lieux. Nul besoin d’organiser un accueil pour « réfugiés sinistrés » (et encore l’idée n’est pas venue dans les grandes préoccupations des pouvoirs publics), la débrouille résorbera cette mutation, et il sera assez tôt pour s’en rendre compte quand tous ces déplacements provoqueront un malaise social en raison de l’addition de tous les mal-vivre individuels et familiaux. Plus les difficultés affluent plus apparaissent les questions de proximité dans le contexte d’une cohabitation entre ethnies. L’hypocrisie qui invite à taire ce sujet, ça ne contribue pas à résoudre le problème. « Mandevo-tay an-tsalaka » (on ne parvient ni à fondre ni à enterrer sa crotte en la gardant dans sa culotte). En admettant qu’il n’existe pas de racisme au sens étroit du terme en nationaux, certaines images d’Epinal demeurent, style « les gens de là-bas sont fourbes » en réponse « méfiez vous, tous des voleurs ». Une fois que l’on parle, il n’est plus besoin d’un grand courage pour le dire crûment. Les préjugés réciproques demeurent vivaces entre les populations des différentes côtes et celles des hauts-plateaux, mais il est des inimitiés enfouies qui rejaillissent parfois avec violence entre gens du Nord et ceux du Sud, les vifs affrontements sur divers campus, qui ont viré parfois au tragique, ont souvent eu comme origine des heurts de cet ordre. A Antananarivo des petites réflexions entendues en passant, des regards sans aménité, alertent sur une ambiance peu sympathique d’un début de la peur de l’autre, qui menace de se métamorphoser peu à peu ou rapidement par un repli sur soi comme refus silencieux de l’autre puis par des attitudes plus agressives en signe de refus de l’autre. On s’éloigne encore plus de cette fameuse réconciliation. Et pourtant il revient aux pouvoirs publics de sensibiliser le public sur ces questions, non à faire la morale là où eux-mêmes qui ont le rôle de raiamandreny ne parviennent pas à donner l’exemple, ni à donner des solutions qu’ils n’ont pas pour eux. Ces derniers jours des discours ont vanté l’amour. A la bonne heure, mais peut-on vraiment faire des efforts pour y parvenir alors que l’on n’ose même pas se dire que l’on ne s’aime pas ? On traîne chacun souvent des préjugés de globalisation entre la méfiance à l’endroit des Merina (borizano pour certains) en chacun d’eux sommeille un aigrefin bien éveillé chez une majorité et la peur des Antandroy tous des dahalo en puissance, il reste très peu d’espace pour une sincérité de vouloir vivre ensemble tant que l’on n’y remédie pas. Le premier pas c’est sans doute de pouvoir en parler librement.
Léon Razafitrimo