Rabeson Jean Bernard – « Les jeunes ont du talent à revendre »
Jeannot Rabeson, un des pères du jazz à Madagascar, est un artiste et pianiste malgache qui n’est plus à présenter. L’homme célèbre cette année son 80ème anniversaire mais à part quelques rides et un petit souci auditif, il joue toujours merveilleusement bien au piano, comme la première fois où il a participé au Festival d’Antibes, en 1961. Il n’avait que 14 ans.
Un long parcours
Né en août 1936 à Antananarivo, Rabeson Jean Bernard, connu sous son nom de scène Jeannot Rabeson, est un pianiste soliste et chef d’orchestre. Il a fait ses débuts dans la chanson très jeune en accompagnant de chanteurs de jazz. À 8 ans, il participait déjà à une émission radiophonique appelée « Demi-heure des Amateurs » sur les ondes de la radio Tananarive. Faisant partie d’une famille de musiciens, c’est d’ailleurs aux côtés de ses frères qu’il formera le groupe « Les Frères Rabeson » pour se produire un peu partout dans la Grande Ile. C’est dans un club appelé « La Caravelle » qu’ils jouaient souvent, un endroit très couru où il fait la connaissance de nombreux musiciens de tous horizons dont des Réunionnais, Rico Bourhis, Luc Donat et bien d’autres. En parallèle, les trois frères suivaient également dans ses tournées un de leurs oncles, Louis Rasoanaivo, compositeur de talent et qui avait déjà acquis une réputation dans le milieu musical de l’île à l’époque. Et c’est en jouant au « Le Madrigal », un restaurant de la capitale malgache, alors que le roi Hassan II était présent que ce dernier lui proposa de venir au Maroc.
En 1960, il s’envola donc pour le Maroc. Voulant revoir ses enfants, Tony et Josée, il rentrera cependant à Madagascar. En 1961, lui, ses frères et leur batteur de 14 ans, Serge Rahoerson, sont partis pour Antibes, dans le sud-est de la France, pour participer au festival de jazz de cette ville. Deux ans plus tard, il quitte Madagascar pour aller vivre en France, à Paris. Il y poursuivit sa carrière à travers de nombreuses tournées, jouant ainsi avec plusieurs musiciens de variétés comme Maxim Saury, Patricia Lebeugle ou encore Guy Laffite. Il jouera également dans des clubs aux côtés du saxophoniste Michel de Villers, par exemple. Il participera également à de nombreux festivals dont celui de Marciac ou de Montauban. Au début des années 1970, il part vivre à la Réunion où il forme un trio avec le contrebassiste Pierre Sim et son fils, le batteur Tony Rabeson, pour ensuite revenir à Paris en 1978. Même s’il a commencé sa carrière très tôt, l’artiste n’a pas beaucoup enregistré en son propre nom.
Un vrai connaisseur en tout ce qui est instrument, il joue de la clarinette, de la trompette, de l’accordéon et enseigne le piano jazz dans le conservatoire de Musique de Santeny en France, depuis plusieurs années. Il fait partie des pianistes de jazz de renommée mondiale, ayant en tête un répertoire de plus de quinze mille morceaux de musique et ayant joué dans plus de mille concerts dans le monde. Rares sont les pianistes qui jouent en même temps du classique et du jazz de haut niveau. Pour cette 27ème édition de Madajazzcar, il nous interprétera sûrement des œuvres classiques de Chopin, Liszt, Beethoven, Scriabine, Rubinstein, puis de la musique de jazz de Duke Ellington, Fats Waller, Art Tatum, Errol Garner, Thelonious Monk, et de Therack.
Moralisateur !
C’est aussi un homme qui aime le partage et il ne s’est pas gêné de faire quelques morales pour les jeunes jazzistes malgaches. « Les pratiquants devront au moins connaitre les bases du Jazz et connaître les techniques des artistes renommés comme Louis Armstrong, Charlie Parker… », Et lui d’ajouter « Quand j’ai commencé la musique à l’adolescence, je pensais que pour devenir un bon musicien, il fallait déjà l’être : je croyais que c’était quelque chose d’innée – on l’avait ou l’avait pas. D’ailleurs je me rappelle que cet état d’esprit m’a beaucoup ralenti au départ. Puis quand j’ai voulu progresser en musique, je me suis mis à me renseigner. Avec le recul, j’ai pris conscience qu’il y avait beaucoup de composantes qui permettaient de devenir un bon musicien ou de rester un amateur toute sa vie ». Ainsi, pour pouvoir réussir, Jeannot Rabeson suggère de travailler intelligemment sans se soucier du temps perdu. Il faut également aimer ce qu’on fait : « Si vous vous forcez systématiquement pour bosser votre instrument, alors il faut réévaluer la façon dont vous abordez la musique. Si vous aimez travailler alors le temps passera très vite, vous serez dans l’état de flow tel que décrit par Mihaly Csikszentmihalyi. Ça ne veut pas dire que vous devez toujours aimer tout, ni que si quelque chose ne vous plaît pas tout de suite ». Par ailleurs, il a également insisté sur l’autoévaluation ou avoir conscience de ses points faibles. Selon lui, être honnête vis-à-vis de ce qu’on fait vraiment, est la clé de la réussite. Mais ceux qui voudront réussir à percer dans le jazz devront passer par le classique. « Le jazz n’est pas malgache. On ne peut pas dire Kung Fu gasy ou Karaté gasy donc on ne peut pas aussi appeler Jazz gasy. Il faut donc partir de la base c’est-à-dire le jazz classique à l’américaine. C’est en maîtrisant ça qu’on joue facilement les autres notes ».
En tant que grand maître du jazz à Madagascar, les organisateurs ainsi que les partenaires du festival Madajazzcar ont sollicité Jeannot Rabeson comme invité de marque. Pour l’occasion, il jouera aux côtés de sa fille Ella Rabeson qui est aussi devenue, au fil du temps, une grosse pointure du jazz national. « C’est un grand plaisir pour moi de pouvoir participer à un évènement d’aussi grande envergure comme Madajazzcar. Je suis toujours disponible pour les échanges et partage pour les jeunes qui souhaitent des entrevues avec moi », conclut le musicien.
Dossier réalisé par T.A.