Géomètre-expert – Les enjeux d’une profession délicate
Technique. La profession de géomètre-expert confère à celui qui l’exerce la seule habilité à réaliser la délimitation des propriétés foncières. Les interventions principales du géomètre-expert concernent, en effet, les actions de levés topographiques, les opérations de bornage de terrains immatriculés ou l’établissement de plans et des documents topographiques correspondants. Ses activités sont, cependant, loin de se restreindre à ces aspects. Ce technicien participe au processus d’évaluation immobilière et exerce aussi un rôle de conseil juridique et technique notamment dans l’arbitrage des litiges fonciers. Le géomètre-expert joue un rôle important dans la sécurisation et la formalisation des droits fonciers. En précisant les limites d’une propriété, son intervention permet de prévenir et/ou de réduire les litiges fonciers. Par ailleurs, cet expert topographe apparaît comme un acteur incontournable quant au volet foncier des projets de lotissement ou autour des questions d’aménagement, des faits qui sont actuellement très récurrents. Zoom sur le métier du géomètre expert avec l’Observatoire du foncier.
Mise en place de l’Ordre des Géomètres-Experts
La profession de géomètre est introduite à Madagascar durant la période coloniale. A cette époque, le métier était réservé aux géomètres-experts français ou à des anciens géomètres européens du service topographique. A l’origine, il s’agissait d’une profession libérale à l’instar de celle d’expert-comptable, huissier, avocat, etc. Vers 1973, l’Etat instaure des dispositions transitoires pour régir le métier. En attendant la mise en place d’un ordre national, les géomètres libres assermentés exercent concurremment avec les services topographiques. Les agents du service topographique pouvaient donc combiner à la fois les fonctions régaliennes de l’Etat (contrôle et validation) et les opérations de terrain. « Durant la période transitoire, très peu d’ingénieurs topographes sortants de l’Ecole Supérieure Polytechnique ont travaillé en tant que géomètres. La plupart d’entre eux se sont expatriés notamment vers les pays africains, ont intégré les services topographiques, ou ont travaillé pour les établissements comme Colas et FTM. Cette situation résultait de la difficulté pour ces jeunes diplômés à faire concurrence aux agents de l’Etat qui avaient la mainmise sur les travaux de terrain. Ainsi à l’époque, 5 sur 6 géomètres libres assermentés étaient des anciens agents ou des retraités du service topographique », relate Lucien Ranaivoarisoa, président de l’Ordre des Géomètres-Experts de Madagascar (OGEM). Ce contexte engendre alors un débordement du service topographique qui a pour effet l’allongement du délai de traitement des dossiers, l’augmentation des conflits fonciers, l’apparition d’usurpateurs, … Dans l’objectif de fournir aux usagers un service de qualité, une meilleure fiabilité et la rapidité dans le traitement des demandes de délimitation de terrain, la loi 2011-005 régissant l’exercice du métier institue l’Ordre des Géomètres-Experts en 2011. Elle apporte des innovations en la matière par l’externalisation de la fonction aux professionnels privés séparant alors les compétences entre géomètres-experts libres et géomètres-experts fonctionnaires. Les premiers sont ainsi chargés d’effectuer les opérations de terrain tandis que les géomètres assermentés de l’Etat assurent le contrôle et la validation des travaux réalisés par leurs confrères du privé, la conservation et la mise à disposition des informations foncières et récemment, avec l’informatisation des services fonciers, la numérisation des plans établis.
Défis d’un Ordre en quête de professionnalisme
L’OGEM veille à la promotion, au développement et à la défense de la profession de géomètre expert. Actuellement, 158 professionnels sont répertoriés au sein de ce groupement dont 88 exercent en tant que géomètres-experts libres si 70 sont intégrés comme fonctionnaires au sein de l’administration topographique. Un nombre qui apparaît comme insuffisant. En effet, l’absence de professionnels privés dans certaines circonscriptions contraint parfois les usagers à faire appel à des géomètres établis dans d’autres circonscriptions ou à des agents du service topographique bien que la loi règlementant le métier interdise aux fonctionnaires l’exercice de la profession à titre privé. Le manque d’effectif de ces techniciens génère également l’apparition de « pseudo-géomètres » qui n’hésitent pas à se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas entachant parfois la profession. Par ailleurs, les usagers en demande de services de ces professionnels ne vérifient pas systématiquement la légalité du prestataire malgré les dispositions prises au niveau de l’ordre pour prévenir ces situations (carte professionnelle, inscription des géomètres experts assermentés à un tableau disponible au niveau de chaque circonscription foncière). Profession libérale, le métier de géomètre-expert n’échappe pas aux difficiles réalités des activités entrepreneuriales malagasy dont le difficile accès au financement. La création d’un cabinet privé de géomètre-expert nécessiterait un investissement initial entre 200 à 300 millions d’Ariary. D’autre part, la location des matériels peut atteindre les 170.000 Ariary par jour. Pour réduire leurs coûts de fonctionnement, des cabinets privés se sont établis provisoirement dans les locaux des services topographiques à Anosy, évitant ainsi le paiement de loyers exorbitants de la capitale. L’appui au financement dans le lancement des activités de géomètre-expert constitue un défi auquel cette organisation professionnelle devrait faire face dans son rôle de promoteur. « Des partenariats avec les banques nationales sont envisagés pour remédier à ces situations » avance le président de l’OGEM. Garant de la considération de la profession de géomètre-expert, l’OGEM entend assainir le métier à l’image de son slogan « Changer ou mourir, dites non à la corruption ». Son président explique, « Cette devise traduit la vision de l’Ordre désireux d’inculquer une culture de discipline, de légalité et d’intégrité. Raison pour laquelle, nous collaborons avec le Bianco qui observera les pratiques illégales de certains membres. »
Géomètres-experts privés face aux géomètres-experts fonctionnaires
L’application de l’externalisation des opérations topographiques de terrain aux techniciens libres semble ne pas avoir d’effets manifestes pour l’heure. « Une grande part du marché reste toujours sous le monopole des agents fonctionnaires », soutient Lucien Raivoarisoa. « Mon cabinet ne traite par exemple, qu’un dossier foncier tous les 6 mois. Certes, des confrères du privé sont plus actifs mais cela traduit quelque peu cette situation privilégiée de nos pairs fonctionnaires », rajoute-t-il. Cette situation pourrait s’expliquer d’une part, par le fait que les particuliers estiment que les prestations des géomètres fonctionnaires seraient moins élevées par rapport à celles de leurs collègues du privé. L’inexistence de barèmes fixes des coûts, laissant à l’appréciation de chaque professionnel l’évaluation d’une opération, ne permet pas de se prononcer sur le sujet. D’autre part, les difficultés rencontrées quelquefois par les experts libres dans le traitement des dossiers de leurs clients (un délai plus élevé par rapport à celui des géomètres de l’Etat) ou certaines irrégularités dans la réalisation de leurs tâches (non traitement du dossier jusqu’au bout) tendent au discrédit du professionnel privé. Dans un contexte d’adapter les pratiques aux réalités socio-économiques et à celui de répondre à l’insuffisance en nombre des géomètres-experts, une proposition de loi modifiant les dispositions de celle actuellement en vigueur soulève en ce moment des débats. Le dualisme entre géomètres-experts fonctionnaires et géomètres experts privés se trouve au centre des réflexions. « L’adoption de cette proposition de loi constituerait un retour en arrière ramenant la situation à la période transitoire d’avant la création de l’OGEM. La situation va empirer puisque les élèves ingénieurs de l’ESPA se retrouveront chômeurs et les nouveaux techniciens ayant déjà investi dans le métier s’exposent à des risques de créances. Cela signifierait, en outre, que l’Ordre n’a plus lieu d’exister », argumente son président. Ce projet de loi autorise, en effet, l’exécution des opérations topographiques foncières par les agents fonctionnaires. Par ailleurs, il préconise une ouverture à l’exercice du métier accordant à des titulaires d’autres diplômes d’ingénieurs reconnus équivalents par l’Etat au diplôme d’ingénieur topographe ou géomètre d’intégrer l’Ordre. Cette proposition pose également un traitement différent pour l’obtention du certificat d’aptitude entre les ingénieurs des services topographiques en formation à l’Ecole Nationale d’Administration de Madagascar (ENAM) et les simples ingénieurs géomètres, topographes ou équivalent. A rappeler que l’admission actuelle à l’OGEM est conditionnée par la disposition d’un diplôme d’ingénieur géomètre ou topographe, d’un certificat d’aptitude délivré à l’issue d’un stage de deux années et l’assermentation devant le tribunal. Les éventuelles dispositions permettraient à l’ingénieur des services topographiques de n’accomplir qu’une année de stage. Quoi qu’il en soit, l’issue des négociations et échanges en vue de l’adoption ou non de cette proposition de loi est fortement attendue.
Ecole spécialisée de géomètres en perspective
Pour couvrir le territoire de ces techniciens assermentés, l’OGEM ambitionne de porter, dans un horizon de 5 ans, le nombre de ces membres à 1.000 soit environ 10 cabinets de géomètres-experts par district. Selon les déclarations du président de l’Ordre, quelque 300 ingénieurs topographes sont éparpillés dans le pays et sont en situation d’emploi inadéquat (chômage déguisé). Ces derniers constituent des candidats potentiels à la profession de géomètre-expert après une remise à niveau certaine. Avec un rythme annuel de soixante ingénieurs géomètres topographes par an, l’Ecole supérieure polytechnique de Vontovorona formera d’ici 2021 environ 300 candidats supplémentaires. Au regard de l’objectif énoncé, ces chiffres restent toutefois décalés. La mise en place d’une école spécialisée dans la formation de géomètres permettrait de combler le nombre restant. Le concept s’inspire du modèle français. Il s’agit de dispenser une formation de deux années au niveau régional à des titulaires de diplôme d’ingénieur. A l’issue de cette période, un diplôme de géomètre-expert leur est délivré par le gouvernement. La particularité de ce projet réside dans le fait qu’une fois l’effectif atteint, la formation peut se clore jusqu’à ce que le besoin se fasse de nouveau ressentir. Dans cette approche, la collaboration des partenaires techniques et surtout financiers s’avère nécessaire. La mise en œuvre de ce projet nécessite, en effet, des dispositifs d’accompagnement managérial, technique ainsi que financier pour appuyer les nouveaux entrepreneurs dans leur activité. Afin de mener à bien cet ambitieux projet, de nouvelles structurations sont en cours d’organisation au sein de l’OGEM. Trois volets seront particulièrement développés à savoir le côté juridique, le développement de partenariat et des formations ainsi que l’appui et l’accompagnement à la création d’entreprises. L’adoption de la nouvelle proposition de loi pourrait complètement remettre en question cette vision. Pour l’heure, wait and see.
Recueillis par A. Lalaina R.