Corruption – Le foncier parmi les secteurs les plus touchés
Parmi les principaux secteurs qui font l’objet d‘une dénonciation de la part des citoyens parvenue auprès du Bianco, le foncier arrive en tête de liste avec les Collectivités territoriales décentralisées (CTD), selon les statistiques des doléances reçues durant le premier semestre 2012. Placé en deuxième position en 2010, puis en quatrième place en 2011, après les CTD, la Gendarmerie nationale et la Justice, le foncier figure toujours au cœur des secteurs les plus concernés par le phénomène. Par ailleurs, Madagascar est classé 100ème sur 183 pays selon l’Indice de perception de la corruption qui a connu une légère amélioration de 2,6 à 3 sur 10 en 2011, d’après Transparency International. Complexité des procédures et méconnaissance des textes juridiques, délai long, manque d’information et de transparence sont autant de raisons qui favorisent cette situation selon les analyses de l’Observatoire du foncier.
Les statistiques portant sur le secteur foncier concernent à la fois les guichets fonciers communaux et les services fonciers étatiques selon les doléances reçues au Bianco. En moyenne, ce dernier reçoit annuellement environ 100 doléances de corruption concernant le secteur foncier, soit 10% à 12% de l’ensemble des doléances de corruption reçues. Il semble que les racines du problème sont liées à la qualité du service délivré par l’administration foncière : faible vulgarisation des informations sur les textes fonciers et les procédures foncières au niveau des usagers, la complexité des procédures, le manque de moyens et de personnel au niveau des services administratifs entraînant un rallongement des délais de traitement des dossiers et l’insuffisance de transparence. Plus particulièrement, l’éloignement des services fonciers par rapport aux usagers crée une pression de corruption pour ceux qui ne voudraient pas effectuer des va-et-vient et qui veulent accélérer l’instruction de leurs dossiers. Il est à noter qu’il existe actuellement 36 circonscriptions foncières dans toute l’île. Le cas des « boky rovitra », c’est-à-dire les archives foncières détériorées sur lesquelles des pages ou des informations sont manquantes, reviennent souvent au cœur des réclamations. D’après les investigations menées par le Bianco, certains agents prétendent auprès de certains usagers la disparition du document foncier correspondant à leur demande afin de les inciter à payer des frais informels. C’est notamment le cas pour les demandes de certificat de situation juridique (CSJ). Lorsqu’on sait que l’octroi de ce document administratif constitue l’une des opérations majeures auprès des services fonciers, on peut imaginer la somme en jeu. Globalement, les domaines de corruption dénoncés auprès du Bianco concernent principalement les procédures de mutation et la délivrance d’actes tels que le CSJ, les prestations de service de certains géomètres causant des empiètements lors de délimitation des terrains, et les reconnaissances des terrains pendant lesquelles certains ayants droit n’ont pas été convoqués. De manière générale, le cas des rabatteurs (mpanera) sont toujours dénoncés. Ces pratiques sont encouragées par la méconnaissance des procédures et des bureaux qui traitent des dossiers.
L’Observatoire du foncier de signaler que le phénomène trouvera toujours une raison de perdurer tant que l’illettrisme et l’appréhension culturelle de fréquenter les bureaux administratifs demeure chez certains usagers, généralement les résidents ruraux.
Une décentralisation de la corruption foncière
Des efforts pour la résolution des problèmes fonciers ont été initiés par le Gouvernement par la création des guichets fonciers communaux qui se constituent en tant que dispositifs de proximité. Toutefois, ces structures ne couvrent que 450 Communes sur les 1557, soit le quart pour l’instant. D’autre part, elles n’allègent pas totalement les usagers puisque les démarches concernant les terrains titrés sont toujours à instruire au niveau des services fonciers. Par ailleurs, il a été constaté ces dernières années une recrudescence des doléances portant sur la corruption des maires et des agents des guichets fonciers.
Le Bianco souligne que la violation des procédures constitue la principale infraction dénoncée. Cette violation se rapporte à des plaintes liées à l’abus de fonction, au conflit d’intérêt et au trafic d’influence perpétrés par certains maires. Il a aussi été rapporté plusieurs doléances concernant l’usage de faux procès – verbaux de reconnaissance par les agents de guichet foncier sans qu’il y ait eu descente sur terrain. Une quasi – absence de contrôle de légalité des actes délivrés par le guichet foncier instaure une certaine impunité des maires. Selon le Bianco, on assiste actuellement à une décentralisation de la corruption foncière et l’on a transposé les problèmes qu’on attribuait auparavant aux services fonciers vers les guichets fonciers communaux. Et de rajouter que certains dispositifs visant à baliser les conflits d’intérêt pour les fonctionnaires des services fonciers, lors des reconnaissances ou pour l’approbation de demandes émanant des membres de leur famille, n’ont pas été repris pour les Communes.
La prévention et l’éducation pour y remédier
Il n’est plus à rappeler que les actes de corruption nuisent à la société et à l’Etat, engendrant une inégalité des droits et de l’accès à la formalisation de la propriété pour les usagers pauvres et les non habitués des bureaux de l’administration dont les dossiers ne seront instruits qu’en dernier lieu. Souvent, les litiges fonciers avec toutes les infractions génératrices d’insécurité qui en découlent en sont les conséquences à court ou à moyen termes. De même, ces pratiques créent un énorme manque à gagner pour la trésorerie publique car les dispositifs de taxation et d’imposition sont contournés.
Des efforts notables sont quand même à signaler au niveau de l’administration foncière, à savoir la promulgation d’un code de bonne conduite des agents, et récemment l’établissement d’un protocole de collaboration entre le Bianco et la Direction générale des services fonciers. Les directives comme la mise en place de standards de service ou de manuel de procédures sont louables et demandent à être concrétisées au niveau de chaque circonscription foncière. Ce qui n’est pas encore le cas. D’autres mesures pourront encore être étudiées telles que la mise en place de boîtes de doléances, de bureau des plaintes ou d’une ligne verte à la disposition des usagers. Dans tous les cas, il est capital d’accorder une place à la vulgarisation des informations et à l’éducation citoyenne. Des moyens de communication autres que les affichages sont à développer, quand on sait qu’environ 64 % des adultes Malgaches sont analphabètes. Dans le fond, un des enjeux majeurs des activités de sensibilisation réside dans le rapprochement de la population rurale avec les institutions et outils administratifs. Les chiffres enregistrés concernant les doléances au niveau du Bianco pourraient sous -estimer l’ampleur du phénomène dans les administrations déconcentrées et décentralisées. Très peu de citoyens pour l’instant osent porter leurs conflits devant les tribunaux ou le Bianco, et ne le font que lorsque tous les recours au niveau informel et local sont épuisés.
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