La déconvenue
Les administrés font chorus avec Madame la Vice-présidente de la Délégation Spéciale chargée de la Commune Urbaine d’Antananarivo pour pleurer sur la ville. Les raisons de la complainte se rejoignent en apparence alors que l’une et les autres invoquent des motifs d’une nuance qui les diffère. Madame se lamente sur l’inexistence des moyens pour répondre aux responsabilités qu’on lui a confiées, alors que la population ne considère que l’état dans lequel on a jeté la cité pour mieux le déplorer. L’opinion s’offusque d’autant plus qu’alors que les gens marchent dans la boue, les gestionnaires de leur ville marchent sur la tête. Il n’y a plus d’argent dans les caisses, passe encore, mais que l’on affecte le peu de crédits dont on dispose à des chantiers sinon inutiles au moins de secondaire importance en rapport à des urgences patentes, c’est que les administrateurs et techniciens de la ville ont mis pantalons et tabliers à l’envers. On a l’impression que le tollé populaire qui a accueilli les trous creusés du côté d’Ambatomintsangana n’a pas suffi à leur mettre la tête à l’endroit, ils s’entêtent à poursuivre dans le même sillon des errements, l’opinion persifle et signe en conséquence. Entre l’ambassade d’Allemagne et la résidence du Premier ministre de ridicules micro-chantiers s’attaquent à une réfection des bordures de trottoirs alors que la chaussée accuse un état lamentable, et qu’à cent mètres de là une fuite dans les conduites d’eau de la Jirama inonde la chaussée en permanence. On sait les dommages que provoque l’eau sur la chaussée, mais en outre le déversement inutile et nuisible des jours durant provoquant la perte d’on ne sait combien de mètres-cube doit causer plus de dépenses que l’intervention pour stopper cette hémorragie. Il est vrai que les interventions reviennent cher à la Jirama lorsque de notoriété publique il est patent que là où un ou deux voire trois spécialistes peuvent apporter remède le plus clair du temps l’entreprise y dépêche une équipe deux à trois fois plus lourde, un ouvrier pour assister un autre pour surveiller, le troisième pour tremper les mains dans l’ouvrage. Ces dysfonctionnements de la gestion de l’administration des eaux, simples parenthèses au passage ne constituent pas une justification pour excuser les carences de l’administration de la ville. Personne ne veut particulièrement la tête de Madame la Vice-PDS, déjà que tout le monde s’est offusqué de ce sexisme qui a conduit à nommer une vice sans président, sans doute tout simplement parce qu’il s’agissait d’une femme. De solution dans l’immédiat, personne ne s’y avance alors que déjà on devine toute une horde à l’affut pour la conquête de la mairie, trépignant d’impatience quant à l’annonce de la date des élections. S’il n’y a pas de moyens pour l’instant, ce ne sont pas les agents de police municipale qui manquent. Plutôt qu’à se préoccuper de gesticulation, style réorganiser les transports urbains, un chantier trop gros pour l’estomac d’une délégation spéciale, celle-ci produirait plus d’efficacité à donner mission et ordre aux « bérets jaunes » d’appliquer lois, codes et règlements de façon stricte en général et de façon sévère contre les indisciplines dont se font une spécialité taxis-be, taxis, charrettes et traineaux à traction humaine sans oublier les camions de plus en plus nombreux à obtenir ou non des autorisations d’exception. Les agents statiques, qui se mettent à plusieurs à un carrefour (les carrefours sous haute surveillance avec une nuée de képis et de bérets ne manquent pas, des points noirs qui ne s’éclaircissent pas pour autant), dénoncent une incompétence ou une inertie des décideurs à organiser un dispatch rationnel de la troupe ou une perte d’autorité qui se satisfait des ornières dues à une absence de discipline et à une inertie l’une et l’autre généralisées. La situation de l’administration de la ville ne constitue pas malheureusement un cas isolé, dans presque toutes les administrations de l’Etat et de bon nombre de collectivités locales on peut noter le même état, ce ne sont nécessairement ni la compétence ni les apparences d’un respect de la hiérarchie qui font défaut, c’est l’état d’esprit qui pèche. Le sens du bien commun, du service collectif, a foutu le camp. Dans la hiérarchie, en dehors de l’apparence d’un respect hypocrite que l’on rend aux supérieurs, la cohabitation au quotidien conduit chaque rang à connaitre les tares intimes des chefs directs et le fihavanana d’un « tu me tiens par la barbichette, je te tiens par la barbichette » s’installe sans besoin de kabary. L’installation de cette ambiance délétère en s’accentuant ne peut être innocente sur l’état d’esprit pour aboutir à réglementer tacitement le mode normal de fonctionner et à mettre ainsi aux oubliettes toute idée de culpabilité et de complicité généralisées. Personne n’a plus conscience de se trouver dans une dérive pernicieuse. Si l’on a idée de la nécessité d’un changement afin de se mettre en position pour s’atteler sérieusement à l’objectif développement c’est à ce redressement qu’il faudrait s’attaquer en priorité. Quel autre chantier ! Du travail en profondeur, exigeant courage et doigté, les décisions à prendre promettent le plus souvent des risques inhérents à des mesures nécessairement impopulaires.
Léon Razafitrimo