Le moment de vérité – Une semaine délicate
La rentrée parlementaire, une grande première en cette 4ième République, une session spéciale destinée exclusivement, s’il faut prendre au pied de la lettre la Constitution, à l’élection du bureau permanent et à la formation des commissions. Tels sont du reste les uniques objets de la convocation si l’on se rapporte au décret pris en Conseil des ministres. Cet événement sonne en quelque sorte le glas du régime de Transition, et le carillon qui célèbre le retour à la démocratie. Alléluia ! Il ne s’agit cependant pas d’une simple formalité. La population n’ose se réjouir à l’avance, elle ignore malgré la proclamation de la liste des membres de l’Assemblée Nationale par la Cour Electorale Spéciale, de quel bois se chauffe la représentation nationale. Les gens ont tendance à oublier l’unicité de cette représentation, car si les électeurs ont voté au niveau de chaque district pour désigner des députés, l’ensemble du corps électoral c’est-à-dire le peuple a élu un tout pour former la représentation du peuple. Deux questions ne trouveront réponse qu’à l’issue du choix que décidera cette assemblée des représentants : comment se dessine la répartition des tendances entre majorité et opposition d’une part, et comment se comportera chaque député élu ? En quelque sorte le peuple au-delà des résultats officiels du vote populaire ignore l’orientation que va prendre l’assemblée de ses élus, et les électeurs de chaque circonscription ne savent pas encore comment va se comporter le député qu’ils ont élu au sein du marécage parmi les méandres des combinaisons politiciennes. Normal le député n’a pas mandat lié aux électeurs seulement le voilà avec un fil à la patte par un mandat impératif de la tendance à laquelle il va s’affilier. En quelque sorte le système en place, ne serait-ce qu’en permettant aux indépendants de se présenter, fait place à la possibilité d’un marché de dupes avec les électeurs et ficelle davantage les députés à une fidélité partisane. En clair la bible des députés se résume à « un droit de tromper les électeurs, mais à une obligation de rester fidèle à la plate-forme originelle dont chacun fait le choix en début de mandat ». A supposer un électeur Lambda ayant voté pour un candidat indépendant X, proclamé élu dans la circonscription, cet élu indépendant, par la suite et jusqu’à ce jour joue la diva au milieu de diverses tendances qui l’assaillent d’une cour assidue. C’est simplement cette semaine que chaque électeur et le corps électoral national connaitront la couleur réelle que va épouser chaque député et la tendance partisane dominante de l’Assemblée Nationale. L’élection des membres du Bureau Permanent et la formation des commissions qui à leur tour vont peut-être désigner leur président respectif devant participer à la Conférence des Présidents, organe ayant pour rôle entre autres d’établir les ordres du jour de l’Assemblée, permettront à chaque électeur et à l’ensemble du corps électoral d’avoir une première lecture sur le comportement individuel des députés, sur le positionnement des diverses organisations politiques, et sur la valeur des forces entre la majorité qui se serait construite et de l’opposition qui se serait formée. Il ne s’agira que d’une ébauche, que l’on pourrait affiner en y superposant l’interprétation que donnera après un week-end de réflexion la Haute Cour Constitutionnelle concernant le mode à adopter pour désigner le Premier ministre. Quels que soient les résultats de la réflexion de la HCC dans sa décision, la manière qu’inventeront les députés (ou plutôt les décideurs qui tirent les ficelles) pour en faire une application dans la pratique, et le moment de rendre public le fruit de leur entente avec le Président de la République sur la personne appelée à occuper le poste, relèvent de tractations discrètes. Le suspens demeure entier, et toutes les surprises restent au programme. En dehors d’un petit groupe d’un nombre restreint, bien malin qui peut révéler à l’avance sans risque de se planter l’identité du futur occupant de Mahazoarivo. Nombreux noms circulent, certes quelques-uns ont des chances en toute logique, mais nombreux n’ont servi et ne servent encore que de ballons-sondes, que pour faire de l’intox, et même que de chiffons rouges pour disperser l’attention. Dans le rude combat que mènent actuellement les quelques personnes les plus influentes du monde politique (parmi lesquelles on compte peu ou presque pas de députés, sauf pour un challenge du nombre en vue de grossir les rangs et de servir d’arguments), pèsent ou tentent de peser des pressions de tous ordres, aussi se distribuent tous les coups, des manœuvres les plus classiques aux créations les plus tordues. Le facteur auquel tout le monde se réfère le plus en public et auquel pourtant on accorde le moins de valeur et d’intérêt dans les calculs, est sans nul doute la volonté du peuple sortie des urnes. C’est que cette volonté n’apparait pas non plus de façon bien tranchée, elle a donné une indication quant à faire d’une tendance la première force politique, sans pour autant dégager une réelle majorité, aussi elle laisse aux combinaziones des politiciens l’opportunité de construire une majorité postélectorale. L’écriture même de la Constitution a ouvert sur l’hypothèse devenue réalité actuelle, celle de la volonté populaire en otage ou au moins en marchandage entre les forces politiques. Dans cette bataille, quoi que se défende de toute ingérence la communauté internationale, même si elle s’abstient de toute intervention visible, la pression qu’elle exerce ne relève pas d’une simple vue de l’esprit. Elle ne cache pas ses préférences, ou pire elle annonce les incompatibilités au partenariat qu’elle fait miroiter. A l’évidence c’est de bonne guerre, et ce n’est que justice, dans un système de partenariat chaque partie reste libre de juger des conditions du partenariat et c’est tout à l’honneur de la communauté internationale d’annoncer à l’avance les conditions de ce partenariat, ce qui la prive en retour de prétendre de ce partenariat faire simplement une action de bonnes œuvres.
Léo Raz