Turquie – La réforme constitutionnelle « ouvre la voie à un système totalitaire »
Pour le politologue Ali Bayramoglu, ce projet, qui doit encore être adopté par référendum, fait courir un réel danger à la démocratie.
Ali Bayramoglu est politologue, écrivain et éditorialiste turc. Contributeur ces dernières années pour le quotidien proche du pouvoir « Yeni Safak », il a quitté ses colonnes peu après la tentative de coup d’Etat manqué du 15 juillet et la reprise en main autoritaire du pouvoir par le président Erdogan. Pour lui, le projet de réforme constitutionnelle qui renforcerait, s’il était adopté par référendum, les pouvoirs du président est un danger pour la démocratie turque. Interview.
Le Parlement turc vient d’adopter une réforme constitutionnelle qui doit désormais être proposée lors d’un référendum dans les deux mois qui viennent. Comment qualifieriez-vous cette réforme ?
Cette réforme va ouvrir la voie à un système autoritaire, voire totalitaire. C’est la réforme constitutionnelle la plus restrictive concernant les grands principes démocratiques et de séparation des pouvoirs de l’histoire turque. Si la première constitution de 1924 était une constitution qui ne séparait pas les pouvoirs, il s’agissait alors d’un système parlementaire. Aujourd’hui, nous parlons d’un système présidentiel, de pouvoirs tous concentrés non dans les mains d’une assemblée mais d’un seul homme.
Il y a trois principaux problèmes dans ce texte
Le président sera le patron de l’exécutif mais avec un moindre contrôle et des prérogatives étendues qui lui donnent un pouvoir d’ordre législatif. Il pourra par exemple prendre des décrets-lois.
Tout système présidentiel contemporain est fondé sur une séparation des pouvoirs rigides. La proposition actuelle permet au président de garder son statut de chef de parti, et donc de rester patron du groupe parlementaire majoritaire à l’Assemblée. Le président sera donc non seulement le leader du pouvoir exécutif mais également indirectement du pouvoir législatif. C’est la fin du principe de la séparation des pouvoirs. Jusqu’à présent, pour des raisons sociologiques ou une approche communautaire, patriarcale également, il y avait des problèmes de séparation des pouvoirs. Mais là il est question de les codifier et c’est une autre étape.
L’hégémonie que donne cette constitution au président sur le pouvoir judiciaire. Nous avons plusieurs Hautes Cours de justice et notamment celle qui contrôle et nomine les juges et procureurs dont la moitié des membres seront nommés désormais par le président et l’autre par le Parlement donc environ un nouveau tiers par le parti du président. Encore une codification de la concentration des pouvoirs en une seule main !
Depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet le pouvoir politique de Tayyip Erdogan en profite pour créer un système qui existe dans son idéal, un système d’obéissance, de silence, une société qui ne critique pas. On ne peut même pas être réellement informés sur ce projet car tous les journaux sont soit contrôlés soient soumis à une autocensure. Difficile d’être optimiste.
Cela veut dire qu’il n’y a aucun doute : ce projet constitutionnel obtiendra une majorité des suffrages lors du référendum ?
Selon les sondages, 44% se prononcent pour et 42% contre. Il y a encore des gens qui ne sont pas décidés. Mais vu le climat actuel en Turquie, les conditions politiques et les événements de terreur qui effrayent la population, il y a une revendication de stabilité et même de stabilité autoritaire. Les gens ont peur à l’écoute du discours de Tayyip Erdogan, des conservateurs et des kémalistes qui martèlent que la Turquie est en danger à cause du problème kurde, de la Syrie, de l’Irak… et cela exacerbe le climat nationaliste, étatiste.
Les conditions sont favorables à Tayyip Erdogan et son parti. Pour le moment, il y a une polarisation et elle n’est pas très favorable à la démocratie. Mais on ne sait jamais, les attentes des acteurs politiques sont parfois totalement renversées, cela s’est déjà vu. Néanmoins, à ce jour, je pense que le référendum passera. C’est aux Turcs de choisir. Mais voteront-ils sur le texte constitutionnel ou sur la stabilité dans laquelle Tayyip Erdogan joue un rôle inacceptable ?
Dans tout référendum, il y a différentes motivations. Cela va sans doute influencer le comportement des électeurs.
Que se passera-t-il si la population rejette le référendum? Comment pourrait réagir Tayip Erdogan ? Cela ne créerait-il pas une situation incertaine ?
A écouter Tayyip Erdogan et les nationalistes, un « non » au référendum entraînerait le chaos. Mais pourquoi ? Ce serait simplement le début d’une ère où les opposants pourraient avoir du courage et reprendre la parole. Erdogan se verrait simplement signifier qu’il doit faire des pas en arrière.