Egypte – La fausse sortie du premier ministre
Au Caire, le chef du gouvernement a présenté sa démission lundi, mais il continuera à gérer les affaires courantes, préparant ainsi la mise sur orbite de la candidature du maréchal al-Sissi à la présidentielle.
Quand les ministres se sont réunis lundi matin en Conseil, la plupart ne savaient pas que le premier d’entre eux, Hazem Beblawi, comptait démissionner, ce qui entraînerait leur renvoi à tous. Après une réunion d’une quinzaine de minutes, M. Beblawi a pris la parole à la télévision d’État et justifié son départ: «Le gouvernement a fourni tous les efforts possibles pour sortir l’Égypte d’un tunnel étroit fait d’enjeux sécuritaires, de pressions économiques et de troubles politiques». Mais paraphrasant involontairement Lionel Jospin, il conclut: «Le gouvernement ne peut pas tout».
Les rumeurs évoquent déjà son successeur: Ibrahim Mahlab, le ministre du Logement – un poste stratégique, dans une Égypte qui, selon ses statisticiens, vient de franchir les 86 millions d’habitants. M. Mahlab est notamment connu pour avoir fait nettoyer et rénover rapidement le site de Rabaa, après les massacres de cet été, quand les supporteurs de l’ancien président Mohammed Morsi ont été violemment réprimés par les forces de l’ordre. Rencontré à l’époque, au mois d’août 2013, il avait déclaré auFigaro qu’il fallait «se féliciter du rapide retour à la stabilité. L’Égypte revient sur le droit chemin». Pour succéder à l’économiste Beblawi, le nouveau premier ministre sera-t-il un serviteur de l’État ou le chef d’un gouvernement de combat, chargé de préparer l’élection présidentielle?
«On s’attendait à un remaniement, pas à une démission. Mais ça montre que le gouvernement actuel est en situation d’échec», estime une source institutionnelle. Les ministres aux postes stratégiques comme ceux de l’Intérieur ou des Affaires étrangères devraient garder leurs maroquins. Reste le maréchal Sissi. Que va faire le nouvel homme fort du pays? Pour déclarer sa candidature à l’élection présidentielle, il doit démissionner de son poste. Un officiel égyptien glisse à l’agence Reuters que «la démission du gouvernement est une étape nécessaire dans l’hypothèse où Sissi annonce qu’il se présente à la présidentielle».
Le temps serait-il donc venu?
C’est peut-être beaucoup plus simple que ça. Depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, les grèves se multiplient en Égypte. Du secteur sidérurgique aux transports publics, du textile aux syndicats de policiers, le pays débraye partout. Les prix augmentent. Les coupures d’électricité ne se comptent plus. On peine à trouver des bouteilles de gaz. Le gouvernement est devenu de plus en plus impopulaire dans un pays dont la transition politique n’en finit plus.
Il n’en est pas à son coup d’essai
Le premier ministre annonce donc sa démission… mais, à la demande du président par intérim, Adli Mansour, il reste en place jusqu’à ce que lui soit trouvé un successeur. Ce qui peut prendre un temps indéterminé. Hazem Beblawi n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Nommé en juillet 2011 ministre des Finances, il démissionne en octobre de la même année pour protester contre «le massacre de Maspero», du nom de l’immeuble de la radiotélévision égyptienne. Les militaires avaient à l’époque réprimé violemment une manifestation de coptes devant cet immeuble, provoquant la mort de près de trente personnes. Démissionnaire, M. Beblawi était pourtant resté en poste jusqu’au mois de décembre.
La même recette devrait donc s’appliquer pour le gouvernement actuel. Comme l’estime un bon connaisseur des affaires politiques égyptiennes: «Le gouvernement peut changer, être remanié, ou tout simplement ne pas siéger, ça ne changera rien. Les seuls à contrôler le pays aujourd’hui, ce sont les militaires.» Seule la Bourse égyptienne a donné une réponse claire à cette vraie-fausse annonce de démission: elle a fait un bond de 0,4%, après plusieurs jours de stagnation.