Corruption – Le premier ministre turc compromis par des écoutes
Dans un enregistrement anonyme, qu’il dénonce comme un montage, Erdogan cherche à cacher 30 millions.
Les récentes restrictions imposées sur l’accès à Internet n’ont pas empêché la publication d’une nouvelle affaire embarrassante pour le pouvoir. Un énième rebondissement dans le scandale de corruption qui éclabousse l’entourage du chef du gouvernement turc. La révélation, lundi soir, par un internaute anonyme, d’un document sonore présenté comme les conversations téléphoniques entre le premier ministre Recep Tayyip Erdogan et son fils, Bilal, provoque un nouveau mouvement de panique à Ankara. Les échanges présumés entre les deux hommes auraient été enregistrés le 17 décembre, date du déclenchement des opérations anticorruption par la police.
«Tu es à la maison?» demande la voix de celui qui serait le premier ministre, le matin des arrestations. «Oui papa», répond l’autre. «Maintenant je te dis de sortir tout ce que tu as à la maison, OK?» ajoute la première voix. «Que veux-tu que j’aie sur moi, papa, ton argent est dans le coffre.» «C’est de cela que je parle, je t’envoie ta sœur OK?»
Au fil des appels tout au long de la journée, les Erdogan père et fils évoqueraient la manière de faire disparaître du domicile des dizaines de millions d’euros en liquide, obtenus grâce à des arrangements avec plusieurs entrepreneurs amis. «Nous n’avons pas pu entièrement les éradiquer, dit le fils dans la soirée. Nous avons encore 30 millions d’euros que nous n’avons pas pu dissoudre.» L’apparition de ce document a aussitôt renforcé les soupçons de corruption contre le fils du premier ministre, dont le nom a été cité dans une affaire le 25 décembre et qui a été entendu comme témoin par la justice début février. Le bureau du chef du gouvernement a parlé d’un «montage immoral». Mardi matin, devant ses députés, Recep Erdogan a contre-attaqué, accusant une nouvelle fois «le lobby du prédicateur» Fethullah Gülen d’être à l’origine de cette campagne. Pour le chef du gouvernement, ce leader d’une puissante confrérie religieuse est l’instigateur des opérations qui le déstabilisent. Faux grossier ou retranscription fidèle, ces conversations font partie de l’affrontement fratricide entre les pro-Erdogan et les pro-Gülen, dont la guerre des écoutes est devenue le symbole. Leur mise en ligne arrive juste après que les médias gouvernementaux affirment que les magistrats, qui remplacent ceux limogés parce que réputés proches de la confrérie, ont mis au jour un gigantesque scandale d’écoutes. Les téléphones de 7000 personnes, dont ceux du chef du gouvernement, de ministres, de personnalités de l’opposition ou d’intellectuels, auraient été placés sous surveillance par les anciens procureurs, selon le quotidien Star. Lundi, le nouveau procureur en chef d’Istanbul a revu le chiffre à la baisse, à 2280. Depuis les raids anticorruption lancés à la fin de l’année dernière, des documents sonores mettant en cause le premier ministre sont mis en ligne anonymement avec une régularité orchestrée.
La loi Internet qui vient d’être votée a justement pour fonction d’endiguer ces fuites, estiment ses détracteurs. Elle autorise l’administration chargée de la régulation des télécommunications à bloquer un site dès lors qu’un contenu est considéré comme portant atteinte à la vie privée. Dans la foulée, les députés sont en train d’examiner un texte qui dotera le MIT, les services de renseignements turcs, de superpouvoirs. Dirigé par Hakan Fidan, fidèle du premier ministre, ils auront notamment les coudées franches pour les écoutes téléphoniques. Son adoption ne fait guère de doute. Ce dispositif s’ajoute à la mise sous tutelle des magistrats par l’exécutif, s’inquiète Ahmet Insel. «La contre-attaque du gouvernement (face aux accusations de corruption, NDLR), déclare cet intellectuel, conduit à la mise en place d’une sorte de régime d’exception.»