Nous n’avons pas oublié !
Il y a un an, jour pour jour, deux journalistes de ce quotidien que vous tenez entre les mains, ont été jetés en prison par le régime actuel. Il s’agit du directeur de la publication, votre serviteur, et du rédacteur en chef de l’époque, Didier Ramanoelina. Suite à une lettre d’un lecteur parue 10 jours plutôt et ayant trait au trafic de bois de rose, 3 membres du gouvernement dont le ministre d’Etat Rivo Rakotovao, en même temps président du parti présidentiel Hvm, ont porté plainte pour délit de presse. L’affaire a été traitée avec une célérité exemplaire puisque convoqués à la brigade de recherche criminelle de la gendarmerie nationale de Fiadanana, le lundi à 7h30 du matin, les journalistes ont été déferrés au Parquet d’Anosy vers 15h, puis ont été envoyés en détention préventive à la prison centrale d’Antanimora, le même jour à 17h.
Selon l’histoire, le dernier emprisonnement de journaliste pour la même raison date de 1974, il y a 40 ans donc. Et depuis, aucun régime et même pas celui de Didier Ratsiraka qualifié de dictatorial, n’a osé procéder ainsi. Pour Didier Ramanoelina qui est dans le métier depuis pas moins de 25 ans, si pour votre serviteur, on compte 13 ans d’expérience professionnelle en la matière, c’était effectivement une grande première. Cela a fait l’effet d’une bombe dans le milieu de la presse locale et internationale d’abord, mais l’étendue de la nouvelle a touché aussi le cercle diplomatique à Madagascar.
Bizarrement, le régime en place ne s’est pas encore rendu compte de sa bévue monumentale et de la galère à laquelle les tenants du pouvoir se sont fourrés. C’est bien le cas de le dire puisque le régime est complètement dans cette affaire pour plusieurs raisons. Tous ont constaté la pression faite à l’endroit de la Justice de la part des tenants du pouvoir. Pire, le ministre d’Etat a tenu une conférence de presse pour canaliser la décision de la mise en détention préventive des journalistes, une heure avant que ces derniers ne soient entendus par le Substitut du Procureur. Le même jour de la tenue du procès, c’est-à-dire deux jours après le mandat de dépôt – soit encore le mercredi suivant-, l’ancien directeur de cabinet du président de la République, Henry Rabary-Njaka, est apparu en « une » d’un autre quotidien de la place dont la teneur de son interview ressemble furieusement à une « directive » et toujours à l’endroit de la Justice. Et le refus de la liberté provisoire des journalistes semble le confirmer. Durant tout ce temps, la presse locale s’est levée comme un seul homme et un mot, le pont était rompu avec le pouvoir. L’affaire a pris une telle ampleur que tout Madagascar, – tout Antananarivo compris, bien sûr-, a décrié l’instrumentalisation flagrante de la Justice à des fins personnels et surtout l’attitude des tenants du pouvoir. Le mouvement de la presse est devenu populaire et le nouveau régime, déjà très mal vu auprès de la population, a frôlé de peu l’explosion sociale. Le lendemain dans la soirée, – le jeudi donc -, un nouveau coup de tonnerre a éclaté puisque le président de la République lui-même est intervenu en déclarant « être personnellement contre la détention des journalistes » ! Finalement, tout s’est bien terminé pour nous puisque le jour suivant, – le vendredi par conséquent, d’ailleurs jour donné par le Tribunal de la première instance pour donner le verdict de l’affaire -, nous avons été libérés et la Justice a décidé une ordonnance de non-lieu. Selon un confrère, cette libération est considérée « comme une victoire de la presse contre les intimidations et la censure » !
Un an après, beaucoup de journalistes, d’observateurs et de simples citoyens n’ont pas oublié ce triste événement, Madagascar Matin, Didier Ramanoelina et votre serviteur en premier. Et nous n’oublierons jamais.
Un an après, le régime Hery Rajaonarimampianina n’arrête pas de traverser des cyclones et accumule les erreurs. La dernière en date est le changement à la convenance du régime du texte régissant les élections si aucune aide budgétaire extérieure n’est enregistrée après 20 mois d’existence. Sur le plan social et sécuritaire, c’est la catastrophe totale et les Malgaches n’ont jamais été aussi pauvres que maintenant tout en vivant dans l’insécurité permanente, de jour comme de nuit et en ville comme à la campagne.
Jean Luc RAHAGA